Depuis cent ans qu’existe l’athlétisme offi­ciel des temps modernes, les cou­reurs ont tou­jours été ten­tés par les grands exploits. Dans cet esprit, le pro­jet Breaking2 de Nike vise à cas­ser la bar­rière des 2 heures au marathon. 

Le pro­jet de Nike visant à faire des­cendre le record du monde du mara­thon (42,195 km) sous les deux heures trou­ve­ra sans doute son abou­tis­se­ment cet été 2017, sur l’au­to­drome de Monza, près de Milan. La firme de Beaverton (Oregon) a rete­nu trois cou­reurs pour mener à bien cette ten­ta­tive : Eliud Kipchoge (32 ans), le Kenyan cham­pion olym­pique de la dis­tance à Rio l’été der­nier ; Zersenay Tadese (35 ans), l’Erythréen record­man du monde du semi-mara­thon ; et Lelisa Desisa (27 ans), un Éthiopien.

De tout temps, le but des ath­lètes a été de réa­li­ser des exploits mar­quants, aus­si bien dans les stades que sur la route. Ainsi, sur 100 m, la bar­rière des dix secondes a été cas­sée aux Jeux de Mexico par Jim Hines (USA) qui a rem­por­té le titre en 9« 95, le 14 octobre 1968. Deux jours plus tard, en finale du 200 m, Tommie Smith (USA) deve­nait le pre­mier homme sous les vingt secondes sur le demi-tour de piste : 19« 83.

Le demi-fond court a aus­si connu ses hauts faits. Et le prin­ci­pal demeure sans doute celui du Britannique Roger Bannister qui fut le pre­mier à pas­ser sous les quatre minutes au mile : 3’59« 40 le 6 mai 1954 sur la piste en cen­drée d’Oxford. Sur 5 000 m, deux grands cham­pions ont aus­si mar­qué leur époque : le Suédois Günder Haegg, le pre­mier sous les qua­torze minutes (13’58« 02 en 1942) et le Marocain Saïd Aouita, le pre­mier sous les treize minutes (12’58« 39 en 1987).

Une des grandes dates concer­nant le fond est celle mar­quée par la per­for­mance du Tchécoslovaque Emil Zatopek qui a cou­ru pour la pre­mière fois plus de vingt kilo­mètres dans l’heure : le 29 sep­tembre 1951, à Stara Boleslav, il a réa­li­sé 20,052 km, tout juste deux semaines après avoir ins­crit son nom sur les tablettes du record avec seule­ment 19,558 km, une per­for­mance qui l’a­vait confor­té dans l’i­dée qu’il pou­vait faire beau­coup mieux.

Sur le maca­dam, trois exploits sont à rete­nir : le pre­mier semi-mara­thon (21,100 km) cou­ru en moins d’une heure par le Kenyan Moses Tanui en 1993 (59′47″), le pre­mier mara­thon à plus de 20 km/​h de moyenne par le Brésilien Ronaldo Da Costa : 2h06’05’“ en 1998 (20 km/​h cor­res­pondent à 2h06’35″ et la pre­mière femme à moins de 2h30” au mara­thon, l’i­nou­bliable Norvégienne Grete Waitz en 2h27’32”” le 21 octobre 1979 à New York.

Les grandes heures de l’ath­lé­tisme sont embel­lies par ces prouesses qui ont jalon­né son his­toire sécu­laire. En dehors des courses, on retien­dra par­ti­cu­liè­re­ment les 8,13 m de Jesse Owens en lon­gueur, pre­mier record à plus de huit mètres, réus­sis au cours d’un mee­ting qui est res­té dans les annales. En effet, le 25 mai 1935 à Ann Arbor (Michigan), Owens a ins­crit son nom à six reprises en un peu moins d’une heure sur les pal­ma­rès des records du monde, dont ce fabu­leux saut que per­sonne n’a pu battre pen­dant vingt-cinq ans.

Trois minutes à gagner

C’est dire l’im­por­tance que revêt la ten­ta­tive pré­vue pour abais­ser le record du mara­thon sous les deux heures. Car celui qui réus­si­ra cet exploit rejoin­dra ces glo­rieux noms dans la légende. La marque est actuel­le­ment fixée à 2h02’57″ par Dennis Kimetto (KEN) depuis 2014. Le meilleur des trois cou­reurs sélec­tion­nés par Nike est incon­tes­ta­ble­ment Eliud Kipchoge dont le record per­son­nel se situe à 2h03’05’“(en 2016). Les deux autres affichent des records per­son­nels à 2h04’45″ pour Desisa et 2h10’41”” pour Tadese. Le mieux pla­cé pour réus­sir est donc Kipchoge. Son chro­no tra­duit bien sa valeur sur la route, bien supé­rieure aux deux autres sélec­tion­nés… qui ne seront vrai­sem­bla­ble­ment là que pour l’ai­der ! On ver­rait bien Tadese faire le lièvre jus­qu’à la mi-course et Desisa emme­ner ensuite le Kenyan le plus loin pos­sible. Peut-être jus­qu’au 35e km.

Toutefois les trois minutes à gagner pour arri­ver au résul­tat espé­ré consti­tuent une pro­gres­sion qua­si impos­sible pour Kipchoge. Cela repré­sente un kilo­mètre sur la route, c’est-à-dire un monde ! Dans l’his­toire du record du mara­thon, un tel bond n’a jamais été consta­té depuis soixante-cinq ans et les 2 h 20′ 52″ de Jim Peeters en 1952. D’ailleurs, la courbe de pro­gres­sion des vingt der­nières années indique plu­tôt que les 2 heures sont à envi­sa­ger pour 2025, pas avant.

Nike et son équipe de 14 scien­ti­fiques cou­vrant tout le spectre d’une pré­pa­ra­tion opti­male – psy­cho­lo­gie, phy­sio­lo­gie, bio­mé­ca­nique, ingé­nie­rie, nutri­tion, coa­ching – ont tout mis en œuvre pour que la ten­ta­tive soit une réus­site : ter­rain ultra plat (boucle de 2,4 km), chaus­sures spé­ciales, tex­tiles opti­mi­sés, ten­ta­tive pré­vue pour un jour sans vent avec une tem­pé­ra­ture idéale… Mais sera-ce suf­fi­sant ? N’oublions pas que c’est l’homme qui court et qu’il faut comp­ter avec ses para­mètres phy­sio­lo­giques : muscles, ten­dons, VO2 max, VMA, lac­tates, men­tal, etc.

Nous aurons sans doute l’oc­ca­sion de reve­nir sur ce pro­jet Breaking2. L’idée est grande mais, pour notre part, nous ne voyons pas Kipchoge réus­sir. Si tout se passe bien, nous l’i­ma­gi­nons tout juste sous les 2h02”, ce qui serait déjà fantastique.

Quoi qu’il en soit, il res­te­ra de tout ceci une sacrée publi­ci­té pour la marque américaine.

Ophélie Dubreuil