Quand les résul­tats ne cor­res­pondent pas à ce qu’on atten­dait, la réac­tion de rai­son consiste à s’interroger. D’abord sur la vali­di­té du constat. Ensuite, s’il est véri­fié, sur les causes. Tout le monde en convient. Mais en poli­tique les enjeux font sou­vent perdre le sens de la ratio­na­li­té, même aux pro­fes­sion­nels les plus expé­ri­men­tés. Prenez le cas du nombre d’habitants de la ville de Toulon. Parfait exemple de mar­ron­nier poli­tique et média­tique. Alors qu’il s’agit à la base d’une ques­tion tech­nique et démographique.

Il est vrai que la double ques­tion – de savoir com­bien de Toulonnais nous sommes et com­ment ce nombre évo­lue – occupe de façon récur­rente le monde des édiles et des par­tis. La presse s’en fait régu­liè­re­ment l’écho. Chaque cam­pagne élec­to­rale voit res­sur­gir le sujet. Les muni­ci­pales de 2014 n’ont pas fait excep­tion. Déjà le maire sor­tant van­tait son bilan, ce qui est dans la nature des choses. Y com­pris au niveau démo­gra­phique, ce qui était peut-être hasar­deux. Mais ce point est res­té secon­daire dans le débat élec­to­ral. Noyé par­mi d’autres objets de foca­li­sa­tion. Et sur­tout par le dérou­lé méca­nique de la cam­pagne d’Hubert Falco, qui a impo­sé son tem­po et ses thèmes dans la bataille. En ali­gnant puis­sance de com­mu­ni­ca­tion locale et éta­lage de réa­li­sa­tions déjà concré­ti­sées ou de pro­jets à venir. Il a par ailleurs, chaque fois que les sujets pou­vaient lui paraître embar­ras­sants dans le cadre ville de Toulon, su trans­por­ter la contro­verse au niveau agglo­mé­ra­tion TPM. Et réci­pro­que­ment. Dialectique faci­li­tée par sa posi­tion de patron sor­tant, aus­si bien comme maire de Toulon que comme pré­sident de l’agglomération. Le débat sur le nombre de Toulonnais est retom­bé en phase som­meil, aus­si­tôt les lam­pions de la vic­toire éteints.

Hubert Falco a tou­jours contes­té les chiffres du recensement

Toutefois il faut recon­naître une cer­taine constance au pre­mier édile tou­lon­nais sur le sujet. Ainsi que lui faire cré­dit qu’il n’a jamais cher­ché à esca­mo­ter le sujet. C’est même lui qui, chaque fois que l’occasion se pré­sente, aborde la ques­tion de son propre chef. Hubert Falco cri­tique depuis long­temps les chiffres des recen­se­ments. Du moins depuis qu’ils font appa­raitre un tas­se­ment, et main­te­nant une chute, du nombre d’habitants. Or les der­niers élé­ments connus confirment et aggravent la ten­dance au dépeu­ple­ment de la ville de Toulon. Phénomène qui n’est pas nou­veau, mais qui semble s’accélérer. Les der­nières don­nées publiées par l’INSEE (Institut natio­nal de la sta­tis­tique et des études éco­no­miques) en ce mois de jan­vier 2016 sont claires et non ambigües. En un an la ville a per­du 1 000 habi­tants. En 5 ans ce défi­cit se monte à 3 000. Nous ne sommes plus offi­ciel­le­ment que 163 760 Toulonnais.

Aussitôt le maire de Toulon a réagi, vive­ment même, convo­quant Var-Matin en pleine page pour une contre-offen­sive aus­si média­tique que poli­tique. Contre-offen­sive est le mot emprun­té volon­tai­re­ment au voca­bu­laire guer­rier. Car Hubert Falco, peut-être aveu­glé dans son dis­cer­ne­ment par son dévoue­ment et son labeur au ser­vice de Toulon, ima­gine que les « mau­vais » chiffres du recen­se­ment sont l’œuvre d’une attaque contre la ville et contre lui-même. La pas­sion avant la rai­son, inver­sion des termes en quelque sorte.

La charge est vaine

À titre prin­ci­pal et à l’appui de son argu­men­ta­tion, le maire de Toulon met en cause la méthode des son­dages. Elle a en effet rem­pla­cé, dans la tech­nique uti­li­sée par l’INSEE, les recen­se­ments exhaus­tifs de la popu­la­tion, depuis les années 2000, c’est-à-dire un cer­tain temps déjà. D’un point de vue scien­ti­fique, la cri­tique d’Hubert Falco est faible et injus­ti­fiable. Faible car, à l’échelle d’une popu­la­tion de plu­sieurs dizaines de mil­liers d’habitants, la métho­do­lo­gie des son­dages repré­sen­ta­tifs a fait l’objet de sécu­ri­sa­tions et de véri­fi­ca­tions qui la rendent fiable, avec des marges d’incertitude infé­rieures aux ten­dances consta­tées à Toulon. Injustifiable car, même en admet­tant un doute sur le chiffre abso­lu du nombre d’habitants extra­po­lé par son­dage, les chiffres rela­tifs de la ten­dance bais­sière sont confir­més dans le temps, tout en étant éva­lués à métho­do­lo­gie constante. La pro­ba­bi­li­té d’erreur est donc infi­ni­té­si­male, en par­ti­cu­lier sur les longues séries.

À titre acces­soire, Hubert Falco va cher­cher des indi­ca­teurs hété­ro­clites qui, de fait, décré­di­bi­lisent son argu­men­ta­tion plus qu’elles ne la servent. Par exemple il cite le nombre de comp­teurs d’eau en aug­men­ta­tion sur la période obser­vée. En ajou­tant que, a prio­ri, les gens ne par­ti­raient pas avec leur comp­teur si vrai­ment ils quit­taient Toulon. Savoureux pro­pos d’estrade sous un préau de cam­pagne élec­to­rale. Mais argu­ment quelque peu déca­lé par rap­port au sérieux de la question.

À titre sub­si­diaire le maire de Toulon pointe les lacunes du tra­vail de recen­se­ment, qui n’a pas été com­plet sur l’échantillon géo­gra­phique pré­dé­ter­mi­né. Il pré­cise que « ça ne s’est pas bien pas­sé à La Grande Plaine, à La Beaucaire, à Pontcarral où les agents recen­seurs ont été pris pour des poli­ciers et où par­fois ils ont été agres­sés. Il a même fal­lu que l’on dépose une main cou­rante ». Dont acte, les résul­tats ont pu en être faus­sés. Si l’INSEE n’a pas corrigé.

On peut com­prendre que la mai­rie cherche à faire feu de tout bois. Mais il faut res­ter dans le rai­son­nable, à par­tir du réel. Certes beau­coup d’enjeux résident dans cette ques­tion de la popu­la­tion. Il est nor­mal qu’elle obsède beau­coup de maires car des consé­quences concrètes pour les com­munes sur­gissent en cas de baisse démo­gra­phique : dota­tions bud­gé­taires, nombre de classes dans les éta­blis­se­ments sco­laires, etc. Raison de plus pour cher­cher à s’attaquer aux racines du pro­blème. Casser le ther­mo­mètre n’a jamais fait tom­ber la fièvre.

Ce serait faire injure à l’homme de pen­ser qu’il ne pos­sède pas la capa­ci­té d’intelligence de la situa­tion. Hubert Falco a su trai­ter avec habi­le­té des pro­blé­ma­tiques beau­coup plus com­plexes. Ce qui sur­pren­drait en l’occurrence, c’est qu’il conti­nue à se laisse enfer­mer dans une pos­ture sans issue. Mauvais conseils ou pri­mat idéo­lo­gique, peu importe. Mais il lui fau­dra chan­ger de par­ti­tion s’il veut en sor­tir par le haut.

Pourtant les bonnes ques­tions ne manquent pas

La démarche de réso­lu­tion du pro­blème ne passe ni par le déni de réa­li­té, ni par la poli­tique du bouc émis­saire. Elle consiste dans un pre­mier temps à prendre l’ampleur du réel. Et dans un second temps à poser les ques­tions des vraies causes. Ensuite, mais ensuite seule­ment, on pour­ra trou­ver les solu­tions et les mettre en place. Le sim­plisme ne rem­place pas la logique.

La pre­mière série de ques­tions à élu­ci­der tient à la façon dont les chiffres ont été obte­nus. Sur ce point on ne peut qu’être d’accord avec Hubert Falco. Pourquoi les agents recen­seurs n’ont-ils pas pu exer­cer cor­rec­te­ment leur mis­sion dans cer­tains quar­tiers ? Pourquoi un dépôt de main cou­rante n’a‑t-il pas suf­fi pour faire ren­trer les choses dans l’ordre ? Pourquoi n’a‑t-on pas fait appel à ces média­teurs de quar­tier, ces res­pon­sables d’associations, ces grands frères influents, ces diri­geants de clubs spor­tifs, toutes ces struc­tures et tous ces gens entre­te­nus avec force sub­ven­tions – notam­ment muni­ci­pales – au nom de l’action sociale et de la poli­tique de la ville ?

Juste après, d’autres inter­ro­ga­tions viennent nor­ma­le­ment à l’esprit. Par réflexe civique et moral, le pre­mier des Toulonnais peut-il se conten­ter de consta­ter pas­si­ve­ment que les agents du recen­se­ment ont été agres­sés parce qu’ils ont été pris pour des poli­ciers ? Peut-on faire l’impasse sur le mau­vais trai­te­ment subi par les agents son­deurs, en se conten­tant d’une main cou­rante dont on connaît à l’avance le sort et l’efficacité ? Doit-on com­prendre que, s’ils avaient été des poli­ciers, il était nor­mal qu’ils fussent agres­sés dans ces quar­tiers ? Peut-on lais­ser les poli­ciers muni­ci­paux ou natio­naux avec cette ter­rible menace consi­dé­rée comme cou­rante et donc impu­nie ? Une plainte aurait-elle eu plus de chances de pros­pé­rer, en coopé­ra­tion avec le Procureur ?

On doit éga­le­ment pen­ser aux autres habi­tants de ces quar­tiers qui res­semblent de plus en plus à des zones de non-droit. Une telle atti­tude rési­gnée de la mai­rie ne leur paraît-elle pas comme un signe d’abandon sup­plé­men­taire ? N’est-ce pas au quo­ti­dien, jusque dans les évé­ne­ments les plus sym­bo­liques, que se joue la recon­quête du civisme si l’on veut vrai­ment vivre ensemble ? En com­pa­rant avec les autres sec­teurs de la ville, y a‑t-il une cor­ré­la­tion entre la domi­nante cultu­relle et reli­gieuse de ces quar­tiers et le refus du recensement ?

Plus géné­ra­le­ment la poli­tique d’immigration incon­trô­lée et de mixi­té for­cée a‑t-elle ali­men­té ces com­por­te­ments mani­festes de refus d’intégration ? Si beau­coup d’anciens de ces quar­tiers et des quar­tiers adja­cents cherchent à fuir dès qu’ils en ont les moyens, au pas­sage en étant par­fois obli­gés de quit­ter Toulon, ces mou­ve­ments migra­toires affectent-ils le solde du nombre d’habitants res­tant à Toulon ? Le phé­no­mène géné­ra­li­sé, consta­té dans d’autres villes voi­sines comme Aix-en-Provence et Nice, d’exil vers les péri­phé­ries des classes moyennes autoch­tones ins­tal­lées depuis plu­sieurs géné­ra­tions, com­bi­né avec le rem­pla­ce­ment par des popu­la­tions allo­gènes arri­vées plus récem­ment, contri­bue-t-il à la dimi­nu­tion démo­gra­phique de Toulon « intra muros » ? La baisse conti­nue du nombre de com­merces à Toulon pos­sède-t-elle un rap­port avec la chute du nombre d’habitants ? À cet égard la mul­ti­pli­ca­tion des méga-centres com­mer­ciaux aux deux bouts du tun­nel, à l’ouest comme à l’est, sur d’autres com­munes, consti­tue-t-elle une réponse appro­priée à la déser­ti­fi­ca­tion de la ville de Toulon ? Comment le maire de Toulon peut-il conci­lier ce type de menaces pour la popu­la­tion tou­lon­naise avec la poli­tique de ter­ri­toire menée par le pré­sident de TPM ?

Seule une ana­lyse lucide des causes pro­fondes, en remon­tant aux ori­gines des pro­blèmes, per­met­tra un véri­table état des lieux. Et à par­tir de là des choix de solu­tions appa­rai­tront. Poser des ques­tions per­ti­nentes, c’est déjà pour par­tie y répondre.

Toulon, François LEBOURG, 19 jan­vier 2016