La ques­tion du tram­way à Toulon, ce n’est plus un de ces sujets cli­vants qui ris­quaient il y a dix ans encore de se trans­for­mer en affaire Dreyfus de la rade. C’est plu­tôt l’Arlésienne. Solution pré­sen­tée par TPM comme essen­tielle dans l’avenir des trans­ports de l’agglomération, elle a brus­que­ment dis­pa­ru lors d’une volte-face stra­té­gique, autour de l’année 2006. Hubert Falco, tout-puis­sant pré­sident de l’agglomération et maire de Toulon, la ville cen­trale de la com­mu­nau­té, a réus­si depuis lors à enter­rer non seule­ment le pro­jet, mais aus­si tout débat sur le tram­way. Définitivement ? Pas sûr.

Tout avait pour­tant com­men­cé sous les meilleurs aus­pices pour le pro­jet de tram­way tou­lon­nais. Idée récur­rente dès la dis­pa­ri­tion des anciens réseaux après la seconde guerre mon­diale, elle revient en force avec la signa­ture par le pré­fet d’une DUP (décla­ra­tion d’utilité publique) en 2000. La mai­rie Front natio­nal de l’époque fait sien le chan­tier, les appels d’offres sont lan­cés. Mais la machine s’enraye. L’un des can­di­dats évin­cés arrive à faire blo­quer le pro­jet en réfé­ré devant le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif. Le Conseil d’État donne le coup de grâce en sus­pen­dant la pro­cé­dure d’appel d’offres. Jean-Marie Le Chevallier est bat­tu aux élec­tions muni­ci­pales sui­vantes. Hubert Falco le rem­place en 2001. Dès lors c’est une autre his­toire qui commence.

Hubert Falco au début de son mandat a repris le projet de son prédécesseur Front National

Toutefois le nou­veau patron de la ville, comme de l’agglomération qu’il porte sur les fonts bap­tis­maux, ne remet pas en cause le tram­way lors de son arri­vée. Il confirme le prin­cipe, en fai­sant réa­li­ser une enquête publique modi­fi­ca­tive. Des chan­ge­ments sont appor­tés par rap­port à la mou­ture ini­tiale, pour tenir compte des amé­na­ge­ments et équi­pe­ments publics déci­dés entre temps, ain­si que des créa­tions ou déve­lop­pe­ments des pôles éco­no­miques à venir. C’est 2006 qui marque le point de bas­cu­le­ment total et inattendu.

En effet l’année voit la confir­ma­tion du tram­way comme moyen essen­tiel de TCSP (trans­ports en com­mun en site propre). Le PDU (plan de dépla­ce­ments urbains) adop­té par TPM ima­gine même un début de réseau avec une seconde ligne. En octobre de cette même année 2006, c’est la douche écos­saise pour les tenants du tram­way : Hubert Falco, après un pre­mier recul du tram­way sur rails vers le tram­way sur pneus, annonce sa conver­sion au BHNS (bus à haut niveau de ser­vice).Virage 180 degrésIl s’agit d’un virage à 180 degrés. Beaucoup y ont vu un sou­ci élec­to­ra­liste, par­ta­gé par plu­sieurs maires de l’agglomération inquiets pour leur réélec­tion. Les comi­tés d’usagers, asso­cia­tions et autres par­ties pre­nantes de près ou de loin, pro­voquent une levée de bou­cliers contre cette volte-face. Mais rien n’y fera, pour Hubert Falco et son petit cénacle d’affidés, seuls admis à par­ta­ger les opi­nions du patron et leurs évo­lu­tions, « le tram­way, c’est dépas­sé ». « Heureusement qu’on ne l’a pas fait » assè­ne­ra-t-il encore quelques années plus tard.

Tout et son contraire

À lui seul Hubert Falco résume par son retour­ne­ment les argu­ments contra­dic­toires du pro­blème et les ater­moie­ments qu’il suscite.

La topo­gra­phie par­ti­cu­lière de Toulon et de son agglo­mé­ra­tion, éta­lées d’ouest en est car limi­tées au sud par la mer et au nord par les mon­tagnes, peut tour à tour ser­vir d’argument pour et contre le tram­way. Notons tou­te­fois que, dans les villes ayant opté pour le tram­way, tous les réseaux ont com­men­cé par un axe lon­gi­tu­di­nal prin­ci­pal, selon la géo­gra­phie des lieux, sur lequel sont venues se gref­fer par la suite des ramifications.

Le coût peut éga­le­ment être inter­pré­té par les uns comme par les autres. On sait que les chiffres finissent tou­jours par dire ce que l’on veut entendre. Selon que l’on se foca­lise sur les coûts d’investissement ou d’exploitation, cha­cun peut pré­tendre que sa solu­tion est la moins chère. Cependant, quand on intro­duit la variable temps sur le long terme, qui est celui d’une infra­struc­ture lourde, le sur­coût du rail par rap­port au bus s’estompe au point de ren­ver­ser l’avantage. Et le tram­way devient de moins en moins cher par rap­port au BHNS au fur et à mesure que le temps passe pour une autre rai­son cumu­la­tive, à savoir l’amortissement et la main­te­nance du maté­riel roulant.

Question capa­ci­té, là encore on peut sou­te­nir tout et son contraire. À condi­tion de gar­der en tête qu’une rame de tram­way est deux fois plus longue qu’un BHNS. Il fau­drait a mini­ma deux fois plus de fré­quences de pas­sages au bus pour espé­rer riva­li­ser. Certaines villes ont essayé, comme Caen par exemple et ont consta­té une usure pré­ma­tu­rée du maté­riel et de la voi­rie. Expérience coû­teuse, temps per­du, pour un retour in fine à la solu­tion tram­way sur rails.

Sur les consé­quences en termes de pol­lu­tion, on ne peut guère ima­gi­ner que le bus soit concur­ren­tiel avec le tram­way. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’arguties spé­cieuses, le débat per­ma­nent sur le die­sel le prouve.

Pourquoi pas une solution multimodale combinée et intelligente ?

L’abandon sou­dain du tram­way par Hubert Falco res­semble au fait du prince. Mais juri­di­que­ment et finan­ciè­re­ment, le pré­sident de TPM-maire de Toulon ne pos­sède pas les mêmes pou­voirs que le sou­ve­rain. Le cou­vercle a été posé en force sur la mar­mite, ça ne moufte pas dans les rangs de la majo­ri­té muni­ci­pale, tous ceux qui ont vou­lu conser­ver leur place ont effec­tué demi-tour droite et se sont mis au garde-à-vous. Pour autant la pres­sion monte dans la cocotte, il ne suf­fit pas d’occulter un pro­blème pour le résoudre.

Le temps pas­sant, la DUP a expi­ré. Le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif a jugé le pro­jet BHNS illé­gal, fond comme forme – sur recours d’une asso­cia­tion Collectif tram­way active et tenace – et l’a décla­ré en outre non conforme avec la DUP et le PDU. Hubert Falco n’a pas fait appel. Sa stra­té­gie consiste à modi­fier le PDU pour le rendre com­pa­tible avec le BHNS. Sans tam­bour ni trom­pette, avec concer­ta­tion sym­bo­lique et pas­sage en cati­mi­ni à TPM. Plus devant le seul bureau com­mu­nau­taire où il com­mande de façon dis­cré­tion­naire, c’est illé­gal. En réunion plé­nière, mais où opi­nions per­son­nelles et liber­té de vote seront vrai­sem­bla­ble­ment ban­nies au sein de la majorité.

La ques­tion de la léga­li­té des ver­se­ments trans­ports col­lec­tés auprès des entre­prises, comme celle des expro­pria­tions déjà enga­gées, reste éga­le­ment en sus­pens. Sources de conten­tieux potentiels.

Il est vrai que la baisse des dota­tions de fonc­tion­ne­ment et l’accroissement des charges qui pèsent sur les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales four­nissent un argu­ment bud­gé­taire de cir­cons­tance pour éli­mi­ner a prio­ri le tram­way. Tout juste un pré­texte rétorquent les par­ti­sans du rail, qui ne manquent pas de sou­li­gner que si dix ans ont été per­dus, c’est exclu­si­ve­ment du fait et de la res­pon­sa­bi­li­té de Falco. Qui donc est mal fon­dé à se plaindre de finances contraintes ou à se tar­guer d’avoir fait obs­tacle au tram­way qu’il avait d’abord sou­te­nu. Rien n’indique d’ailleurs que le tram­way, sur une durée de trente et encore plus de cin­quante années, se révèle plus cher que le BHNS, bien au contraire.

Alors la solu­tion équi­li­brée et prag­ma­tique ne consis­te­rait-elle pas à com­bi­ner selon le bon sens les modes de dépla­ce­ment ? En tra­çant un axe ouest-est des­ser­vi par tram­way sur rail, chaque sta­tion étant reliée par des bus cir­cu­lant nord-sud pour rabattre les voya­geurs sur ces points de cor­res­pon­dance. Ce qui n’empêcherait pas des déve­lop­pe­ments ulté­rieurs à par­tir des ter­mi­nus tou­lon­nais ouest et est, en fourche ou en étoile, vers les com­munes limi­trophes. Partout où le tram­way a été ins­tal­lé, les pré­vi­sions de fré­quen­ta­tion ont sans excep­tion été dépas­sées dans des délais plus courts que pré­vu. Au point d’obliger à ren­for­cer très vite les lignes, par aug­men­ta­tion du caden­ce­ment, allon­ge­ment des rames et des quais, exten­sion des lignes au-delà des ter­mi­nus originels.

Une solu­tion qui résou­drait de fait beau­coup des incer­ti­tudes en cours. Qui lais­se­rait sa chance aux modes de trans­port les plus adap­tés selon les com­munes et les quar­tiers. Et qui met­trait fin à la guerre de reli­gion du tout ou rien.

Toulon, François LEBOURG, 8 février 2016