La Galette des Rois et ses significations

par | 11 jan­vier 2017 | Aucun com­men­taire

L’Épiphanie ras­semble chaque année parents et amis autour de la tra­di­tion­nelle galette ; et ce, durant une période qui couvre une bonne quin­zaine de jours. C’est, avec Noël pré­cé­dant tout juste cette célé­bra­tion, l’une des fêtes les plus popu­laires et les plus enra­ci­nées de notre nation. Par Épiphanie on entend l’incarnation (du prin­cipe) chris­tique et la pré­sence des rois mages venus l’honorer. Mais que sym­bo­lise donc la fameuse galette et quelle est son ori­gine ? Beaucoup de choses ont été dites sur cette ques­tion et, après en avoir rap­pe­lé briè­ve­ment l’essentiel, nous abor­de­rons un aspect peu connu (sauf de spé­cia­listes) et pour le moins mys­té­rieux de ce gâteau partagé.

Cette fête, l’Épiphanie, serait la chris­tia­ni­sa­tion d’une célé­bra­tion romaine appe­lée Saturnales, en sou­ve­nir d’une période mythique durant laquelle le dieu Saturne, chas­sé de son royaume, se serait réfu­gié dans le Latium où il aurait ins­ti­tué une sorte de réplique de l’Âge d’Or(1). Lors des ban­quets, un enfant – sym­bo­li­sant l’innocence – qu’on dénom­mait Phébé, nom évi­dem­ment déri­vé de Phœbus, le soleil, dis­tri­buait aux convives les parts d’un gâteau. Par cette dési­gna­tion de Phébé, l’innocence mani­fes­tait un éclai­re­ment, une mise en lumière et, gui­dant l’enfant solaire, le sort attri­buait à chaque convive un mor­ceau de pâtis­se­rie. Un seul conte­nait la fameuse fève des­ti­née à dési­gner le roi du ban­quet. Les Saturnales se dérou­laient durant toute une semaine avant le 24 Décembre. Une fois le Christianisme offi­ciel­le­ment ins­tal­lé à Rome, ces fes­ti­vi­tés se retrou­vèrent inté­grées à la nou­velle reli­gion et la date pris place après le Solstice d’hiver. Plus tard, en guise de gâteau, on pre­nait un pain conte­nant un hari­cot qui rem­pla­çait la fève. Alors que pas­saient les siècles, une brioche – accom­pa­gnée de sucre et de fruits confis – fut pré­fé­rée au pain ; sur­tout en Provence et dans le Languedoc.

La part du pauvre Galette des Rois

Représentation popu­laire mon­trant une petite fille don­nant à un pauvre une part de la galette que l’on réserve à cet usage. Cliquer sur l’i­mage pour l’agrandir.

En ce qui concerne la galette que l’on par­tage aujourd’hui, il faut savoir que sa pâte feuille­tée était déjà connue des Grecs. Puis, du Proche Orient, pas­sée sous influence grecque après les conquêtes d’Alexandre, la recette fut rame­née en Europe – en France et en Autriche – par les Croisés. Pareille pâte ne plai­sait pas qu’au palais des gour­mets car le qua­li­fi­ca­tif de « feuille­tée » fai­sait son­ger à un livre. Et cer­tains ne man­quèrent pas d’établir un rap­pro­che­ment avec ce petit livre qu’une enti­té angé­lique donne à l’évangéliste Jean : « je vis un ange vigou­reux (…) enve­lop­pé d’une nuée, avec un arc-en-ciel sur la tête. Son visage était comme le soleil, et ses jambes comme des colonnes de feu. Il tenait à la main un petit livre qui était ouvert »… « Et la voix qui venait du ciel (…) me par­la de nou­veau et me dit : « va prendre le livre ouvert dans la main de l’ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre ». Je m’avançais donc vers l’ange et lui dis de me don­ner le livre. Il me dit “Prends–le et avale-le” »(2).

Ange au livre par Albrecht Dürer

Saint Jean man­geant le livre, xylo­gra­phie d’Albert Dürer. Comme on le voit, l’artiste a repré­sen­té au pied de la lettre ce per­son­nage n’appartenant pas à la ter­restre Humanité. Le sym­bo­lisme de cette scène est aisée à com­prendre : le petit livre repré­sente un savoir issu des puis­sances divines que l’évangéliste doit ingé­rer ou, si l’on pré­fère, avec lequel il doit faire corps. Cliquer sur l’i­mage pour l’agrandir.

La fran­gi­pane serait appa­rue au XVIIe siècle, selon les recom­man­da­tions d’Anne d’Autriche et de son époux Louis le trei­zième. Notre actuelle galette des rois appa­raît donc à cette époque et, puisque l’on vient d’évoquer un pos­sible rap­port avec la sym­bo­lique, pour­sui­vons nos inves­ti­ga­tions dans ce domaine. Ce fai­sant, nos pas nous font entrou­vrir la porte du domaine alchi­mique. Le gâteau des rois serait-il allu­sif au Grand Œuvre et à la pierre phi­lo­so­phale ? Des auteurs pas­sion­nés par l’« Art d’Hermès »(3) l’admettent aisément.

Entrée ouverte au palais fermé du roi Eyrénée Philalèthe

Le trai­té alchi­mique de Eyrénée Philalèthe

Il faut savoir qu’au XVIIe siècle, l’alchimie était une dis­ci­pline prise très au sérieux et cer­tains des « adeptes »(4) les plus célèbres, qua­si­ment deve­nus figures de légendes (car mas­quant sou­vent leur véri­table iden­ti­té sous des pseu­do­nymes), vécurent durant cette période. Ce furent les ita­liens Cesare Della Riviera et Giordano Bruno ou l’anglais Georges Starkey (alias Eyrénée Philalèthe) et, plus tard, Isaac Newton, les alle­mands Basile Valentin et Michael Maier, sans oublier Johann Valentin Andreae auteur d’un texte sur le fameux et mythique Christian Rosenkreutz, père fon­da­teur de l’Ordre de la Rose-Croix. Mais il y eut aus­si des Français dont Jacob Saulat, de la Rochelle, et le pro­ven­çal Jean Troin (dit Delisle), ser­ru­rier à Bargemon, auquel il faut ajou­ter un cer­tain Pierre Borel (1620−1671), ori­gi­naire de Castres (Tarn), qui devint doc­teur en méde­cine à Cahors en 1643. Onze ans plus tard, on le retrouve méde­cin per­son­nel de Louis XIV. Il est l’auteur, entre autres ouvrages, d’un trai­té sur le téles­cope et, avant Fontenelle, d’un autre sur la plu­ra­li­té des mondes habi­tés. Mais sur­tout, on lui doit, en 1654, l’année, pré­ci­sé­ment, où il entra au ser­vice du roi, une Bibliotheca Chimica qui est la pre­mière étude consa­crée à l’ « Art d’Hermès » et aux alchimistes.

Pierre Borel par Jacques Pauthe

Pierre Borel par Jacques Pauthe

Selon des recherches faites sur Borel(5), les livres d’alchimie ras­sem­blés par Isaac Newton auraient pour ori­gine ce trai­té. Tout cela pour dire que l’engouement que sus­ci­tait le Grand Œuvre dans l’entourage du monarque a peut-être conduit à confé­rer une signi­fi­ca­tion alchi­mique à cette galette que la noblesse et le peuple savou­rait en fêtant les rois. Rappelons au pas­sage que l’on dénomme aus­si l’alchimie l’« Art royal ». Voyons à pré­sent quelques aspects du sym­bo­lisme que – secrè­te­ment – mani­feste (et contient) une telle pâtisserie.

Traditionnellement, les rois se célèbrent le 6 jan­vier, c’est-à-dire exac­te­ment au milieu – au cœur – du Capricorne, signe astro­lo­gique gou­ver­né par Saturne per­son­ni­fiant, sous son aspect sombre, la mélan­co­lie, la fata­li­té, la cadu­ci­té de toute chose et, en consé­quence, la mort. À moins de se sou­ve­nir des Saturnales païennes ren­voyant à l’Âge d’Or. Et c’est pré­ci­sé­ment cela que sous-entend la fameuse galette. Elle se pré­sente, en effet, comme un disque doré allu­sif au soleil et la déco­ra­tion de sa croûte repro­duit par­fois un tra­cé rota­tif omni­pré­sent dans l’art popu­laire euro­péen. Tracé fai­sant son­ger à l’astre diurne ou au mou­ve­ment cir­cu­laire du ciel étoilé.

Galette des Rois en soleil

Galette déco­rée d’un sym­bole solaire. Mais ce motif tour­noyant pour­rait éga­le­ment se faire allu­sif au ciel en rota­tion autour de l’Étoile Polaire

Galette des Rois avec la nasse

Toutefois, le plus sou­vent, sa déco­ra­tion se pré­sente sous l’aspect de traits dont les entre­croi­se­ments losan­gés com­posent un motif réti­cu­lé dont la signi­fi­ca­tion, déjà évo­quée dans cette rubrique(6), ren­voie à l’idée de maî­trise. Depuis les temps les plus recu­lés, la nasse a pour fonc­tion de cap­tu­rer le vivant.

Taureau dans la nasse

Un tau­reau cap­tu­ré par une nasse. Vase cré­tois de Vaphio, minoen récent (1), Musée d’Athènes. Cliquer sur l’i­mage pour l’agrandir

On l’a dit, la pâte feuille­té fait son­ger à un livre. Mais, par sa forme ronde, la galette épouse la cir­cu­la­ri­té du ciel. La nasse gra­vée dans la croute tra­duit une maî­trise de ce que repré­sentent les constel­la­tions. En man­ger une part signi­fie inté­grer – ingé­rer – une connais­sance qui, à tra­vers le zodiaque et les figures étoi­lées de l’hémisphère Nord (l’Aigle et le Cygne, Pégase et Persée, la Couronne Boréale, dite d’Ariane, ou encore les deux Ourses), ordonne le monde et trans­met des signi­fiances immuables. Une sapience qui vient du cos­mos allège des pesan­teurs ter­restres. Point com­pacte, la pâte feuille­tée nous rap­pelle ce qu’enseigne la science à pro­pos de la matière, à savoir qu’on y trouve du vide.

C’est au début du XVIIIe siècle que la fève (par­fois rem­pla­cée par une pièce d’or ou d’argent, les métaux du soleil et de la lune, astres omni­pré­sent dans l’iconographie alchi­mique) lais­sa place à une figu­rine de por­ce­laine repré­sen­tant l’enfant Jésus ou, en lan­gage popu­laire, le « petit Jésus » ; heu­reuse for­mule qui par le jeu du hasard (si l’on y croit) et de la « gué­ma­trie » se révèle émi­nem­ment par­lante. Rappelons que la « gué­ma­trie » est un sys­tème(7) de cryp­tage attri­buant un nombre à chaque lettre en fonc­tion de la place qu’elle occupe dans l’alphabet. La for­mule devra donc se lire de la façon sui­vante : p (= 16) + e (= 5) + t (= 20) + i (= 9) + t (= 20) + j (=10) + é (= 5) + s (=19) + u (= 21) + s (= 19) = 144, le car­ré de 12, nombre qui, dans l’Apocalypse de Jean est (mul­ti­plié par 1000) celui des élus mais aus­si des pro­por­tions de la « Jérusalem céleste ». Toute dorée, solaire, cette sin­gu­lière « cité » pro­clame que l’Âge d’Or doit reve­nir. Découvrir l’enfant divin dans une part de galette signi­fie réin­té­grer l’état supra­hu­main qui régnait en Âge pre­mier. Et coif­fer la cou­ronne, autre­ment dit entou­rer son men­tal d’un cercle d’or, métal inal­té­rable voué au soleil, tra­duit le fait que l’on réin­tègre ce même Âge ou, plus sim­ple­ment, que son retour est anti­ci­pé pour une per­sonne. Précisément, c’est là le but de l’alchimie car fabri­quer de l’or, même si cer­taines trans­mu­ta­tions s’avéraient pos­sibles, est d’abord une méta­phore pour dire que l’état de conscience lumi­neuse, « enso­leillée », du com­men­ce­ment doit être retrouvé.

Cube Jérusalem céleste

Gravure alchi­mique mon­trant un cube qui, des­cen­dant du ciel dans un rayon­ne­ment solaire, se fait direc­te­ment allu­sif à la « Jérusalem céleste » puisque cette « cité » vient « du ciel d’auprès de Dieu » et que sa lon­gueur, sa lar­geur et sa hau­teur sont égales (Apocalypse, 21, 10 et 16–17). 

Le rôle de la fran­gi­pane, crème de pâte d’amande, doit éga­le­ment être expli­ci­té. En véri­té c’est le sym­bo­lisme de l’amande qui est impor­tant car, par sa forme, ce fruit recon­duit à une figure géo­mé­trique très fré­quente dans l’art roman mais aus­si dans le gothique dès lors qu’elle déter­mine l’ogive. Il s’agit de la « man­dorle », nom déri­vé de l’italien man­dor­la signi­fiant « amande ».

Tympan église Carennac (Lot)

Sur le tym­pan de l’église de Carennac (dans le Lot), au milieu des douze apôtres, le Christ trône en majes­té dans la man­dorle. Cliquer sur l’i­mage pour l’agrandir

Cette figure(8) résulte de deux cercles qui s’interpénètrent. Comme pour dire qu’il faut voir dans son tra­cé le lieu de che­vau­che­ment de deux mondes (ou une sorte de « sas » entre les deux), celui de l’humaine condi­tion et celui du divin.

Chevaliers XIIe siècle

Sur cette enlu­mi­nure du XIIe siècle, on voit un che­va­lier dont l’écu fait son­ger à une amande

On connaît (ou on redé­couvre) les ver­tus thé­ra­peu­tiques de l’amande(9) – notam­ment pour le cœur et, dit la méde­cine indienne Âyurvédique, pour le cer­veau – mais c’est encore au domaine du mythe que, pour conclure cet article, nous ferons appel. Un mythe ayant pour fonc­tion d’insuffler une espé­rance de vic­toire en des temps assom­bris par le Saturne fai­seur de fata­li­té. Selon le légen­daire che­va­le­resque ger­ma­nique, l’Empereur Frédéric Premier, dit « Barberousse », ne serait pas mort noyé (en 1190) mais, sem­bla­ble­ment au roi Arthur et à Merlin, vivrait tou­jours en un lieu inac­ces­sible. Il devrait reve­nir, en des temps ultimes de chaos, pour réta­blir l’Empire euro­péen. Auparavant, il lui fau­dra sus­pendre son écu à un arbre deve­nu sec et qui rever­di­ra. Thème par­tiel­le­ment repris par Tolkien dans Le Seigneur des Anneaux. Or, le bou­clier médié­val de la fin du XIIe siècle affecte par­fois la forme d’une amande. L’écu de Frédéric revêt alors la signi­fi­ca­tion d’une force pro­tec­trice vita­li­sant l’arbre sym­bo­li­sant la jonc­tion entre la terre (avec les racines) et le ciel (par les branches) ; image annon­çant qu’à un cer­tain moment ces­se­ra la sté­ri­li­té spi­ri­tuelle du monde européen.

D’une cer­taine façon, par son sym­bo­lisme « her­mé­tique », la fête des rois nous pré­pare à ce moment. À toutes et à tous, joyeux par­tage de la galette.

P.-G. S.

(1) Voir à ce pro­pos, dans cette même rubrique, l’excellent article de Paul Catsaras consa­cré à Janus.
(2) Apocalypse, 10, 1–2 ain­si que 8–9.
(3) Dénomination plus dis­tin­guée pour dési­gner l’alchimie.
(4) Terme dési­gnant les alchi­mistes.
(5) Nous pen­sons en par­ti­cu­lier aux minu­tieuses recherches de mon­sieur Didier Kahn, auquel on doit un tra­vail remar­qua­ble­ment docu­men­té sur La Bibliotheca Chimica de Pierre Borel.
(6) Cf. dans Perspective, l’article inti­tu­lé L’appartenance, la forme et le centre.
(7) Connu des Grecs, du Judaïsme mais aus­si des anciens Germains (comme le montrent les tra­vaux de Heinz Klingenberg), ce sys­tème s’applique éga­le­ment à notre alpha­bet déri­vé du latin et com­por­tant 26 lettres.
(8) Évoquée dans un autre article à pro­pos des calis­sons d’Aix-en-Provence et des navettes de Saint-Victor de Marseille.

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P.-G. S.

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