Pour la pre­mière fois depuis le début de la guerre en Syrie, l’ar­mée amé­ri­caine a frap­pé l’ar­mée syrienne.

Cinquante-neuf mis­siles Tomahawk ont été tirés depuis plu­sieurs navires amé­ri­cains sta­tion­nés en Méditerranée, tout près des navires russes. L’objectif visé, et mal­adroi­te­ment atteint, a été la base aérienne d’Al-Chaayrat, au sud de Homs, d’où seraient par­tis les avions res­pon­sables du bom­bar­de­ment chi­mique de la ville de Khan Cheikhoun.

Dans la pré­ci­pi­ta­tion et l’é­mo­tion, devant les images d’en­fants ago­ni­sants dif­fu­sées par les com­bat­tants isla­mistes et notam­ment les fameux casques blancs, Donald Trump a ordon­né de faire le contraire de ce qu’il a prô­né pen­dant toute sa cam­pagne élec­to­rale : inter­ve­nir en Syrie. C’est le même homme qui, sur un ton mar­tial et défi­ni­tif, annon­çait « la fin des aven­tures exté­rieures » et féli­ci­tait Obama de ne pas avoir sui­vi les Européens, François Hollande en tête, dans leur sou­hait de bom­bar­der la Syrie après l’at­taque au gaz sarin, jamais éclair­cie, de La Ghouta en août 2013.

On reste confon­du par un revi­re­ment aus­si rapide et impré­vi­sible. Finis les appré­cia­tions posi­tives sur Poutine, le prag­ma­tisme sur la situa­tion au Proche-Orient et le refus de se com­por­ter comme ses pré­dé­ces­seurs dont les inter­ven­tions en Libye et en Irak n’ont engen­dré que la chaos.

Du reste les pre­miers à féli­ci­ter Trump ont été Israël et Hillary Clinton. Tout un symbole.

Au delà du carac­tère san­guin du per­son­nage et de son émo­tion face « aux magni­fiques bébés morts » (com­bien de pays peut-il atta­quer avec des rai­son­ne­ments aus­si puis­sants ?), il faut tout de même s’in­ter­ro­ger sur le pro­ces­sus de déci­sion qui a conduit à cette agres­sion stu­pide, qui ne chan­ge­ra d’ailleurs rien au cours de la guerre.

Dans un pre­mier temps on peut se conten­ter d’une expli­ca­tion simple et ras­su­rante : Trump veut mon­trer au monde qu’il n’est pas Obama, et que l’in­dé­ci­sion ne sera pas sa marque de fabrique. Un raid ter­restre amé­ri­cain a d’ailleurs eu lieu il y a peu au Yemen, ce qui avait don­né le ton, mal­gré là-aus­si un résul­tat mili­taire médiocre. En clair Poutine n’a qu’a bien se tenir, il trou­ve­ra à qui par­ler. Certes c’est tout à fait contraire au pro­gramme élec­to­ral du nou­veau pré­sident mais celui-ci n’en est pas à une inco­hé­rence près.

Cette expli­ca­tion est ras­su­rante car elle implique que l’en­ga­ge­ment en Syrie contre Bachar n’i­ra pas au delà de ce bom­bar­de­ment sym­bo­lique, quoique fort coû­teux : six morts syriens pour trente mil­lions d’eu­ros de mis­siles, ce n’est pas un ratio très brillant. D’autant que les mis­siles en ques­tion ont raté la piste d’at­ter­ris­sage et que l’a­via­tion syrienne a pris un malin plai­sir à faire décol­ler un avion dès le lendemain.

Une deuxième expli­ca­tion est pos­sible et plus inquié­tante : les hommes qui entourent Trump aujourd’­hui ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui l’ont accom­pa­gné vers la victoire.

Exit les Bannon et autres Flynn qui avaient tant inquié­té les occi­den­taux. Les pro-russes ne sont plus à la mode et ont lais­sé les places aux ténors de Goldman Sachs tel Gary Cohn et aux fau­cons res­ca­pés de l’ère Bush.

Le séna­teur Mac Cain, l’homme qui rêve de faire du Proche-Orient un champ de ruines au pro­fit d’Israël, s’est évi­dem­ment réjoui de l’at­taque amé­ri­caine et réclame main­te­nant d’al­ler plus loin et de livrer des armes aux rebelles. Lesquels , le Front al Nosra ou ceux qui sont à la solde des Turcs ?

Plusieurs géné­raux bel­li­cistes sont depuis peu très en cours à la Maison Blanche et semblent avoir eu une influence déci­sive sur la déci­sion de Trump. La CIA elle-même fait de nou­veau entendre sa voix, ce qui est par­ti­cu­liè­re­ment inquié­tant compte tenu de son brillant pal­ma­rès : finan­ce­ment de Ben Laden, créa­tion de fausses preuves contre Sadam Hussein, livrai­son de mis­siles anti-chars aux isla­mistes contre l’ar­mée de Bachar pour ne citer que ses prin­ci­paux faits d’armes.

Surtout, le gendre de Trump, Jared Kushner, mili­tant sio­niste convain­cu, semble jouer un rôle de plus en plus impor­tant. Israël n’a pas renon­cé à son objec­tif majeur de faire tom­ber Bachar et peut se frot­ter les mains du revi­re­ment spec­ta­cu­laire de la poli­tique américaine.

Heureusement que tout cela n’ar­rive qu’a­près la chute d’Alep, tour­nant mili­taire de la guerre. De plus, les rebelles isla­mistes sont pro­fon­dé­ment divi­sés et affai­blis et on ne voit pas com­ment ils pour­raient l’emporter même en cas d’aide clan­des­tine mas­sive de la CIA.

Et puis il y a la Russie et l’Iran qui n’ac­cep­te­ront pas que l’Amérique détruise la Syrie comme elle a détruit l’Irak.

Mais tout de même, Trump n’au­ra pas mis long­temps à ren­trer dans le rang…

Antoine de Lacoste, Paris, Damas, 14 avril 2017