Depuis main­te­nant une semaine en ce 24 sep­tembre 2017, l’ar­mée syrienne a rom­pu le siège de Deir ez-Zor. L’Etat isla­mique (EI) avait conquis les deux tiers de la ville il y a trois ans et n’a jamais pu prendre le der­nier tiers. Aujourd’hui, c’est l’in­verse qui se pro­duit. Ce sont les hommes de Daesh – par­mi les­quels figurent de nom­breux étran­gers – qui sont encer­clés dans les poches qu’ils détiennent encore, à l’est de la ville.

La reprise com­plète de Deir ez-Zor est iné­luc­table dans un délai fina­le­ment plus court que pré­vu. Ceci en dit long sur l’ef­fon­dre­ment de l’Etat isla­mique, dont les jours sont main­te­nant comp­tés. D’ailleurs de nom­breux com­bat­tants dis­pa­raissent dans la nature, par­fois pour ren­trer chez eux dis­crè­te­ment mais le plus sou­vent pour se fondre dans la popu­la­tion des régions sun­nites afin de pré­pa­rer de futurs attentats.

Dans le même temps, les diri­geants sur­vi­vants de Daesh se pré­oc­cupent des finances du mou­ve­ment et orga­nisent le rapa­trie­ment, notam­ment en Europe, de fonds qui ser­vi­ront à finan­cer des actions ter­ro­ristes. Les Syriens en auront pro­ba­ble­ment fini plus tôt que nous avec l’Etat isla­mique… Ce qui est cer­tain en tout cas, c’est que l’ar­mée syrienne a repris plu­sieurs puits de pétrole dans la région de Deir ez-Zor et que, bien­tôt, plus aucun ne sera aux mains de Daesh. Ce sont ain­si 800 mil­lions de dol­lars annuels qui ne ren­tre­ront plus dans les caisses des islamistes.

Plus au nord-ouest, à 120 km de Deir ez-Zor, le siège de Raqqa, l’ex-capi­tale de l’EI, se pour­suit labo­rieu­se­ment. Les FDS – coa­li­tion de kurdes et de rebelles pré­ten­du­ment modé­rés – avancent len­te­ment sous la hou­lette des conseillers amé­ri­cains qui arment et financent tout ce petit monde.

Le plan amé­ri­cain était ensuite de des­cendre le long de l’Euphrate pour se rap­pro­cher de Deir ez-Zor et tenir ain­si toute la rive gauche du fleuve. Pris de court par la rapi­di­té de l’en­trée de l’ar­mée syrienne dans la ville, les Américains ont chan­gé de tac­tique et font pro­gres­ser des troupes FDS qui ne par­ti­ci­paient pas au siège de Raqqa et se tenaient plus à l’est. Elles n’ont eu qu’à des­cendre plein sud, sans oppo­si­tion, pour se retrou­ver dans les fau­bourgs Est de Deir ez-Zor. Personne n’a besoin d’elles pour reprendre la ville mais, on l’a com­pris, ce n’est pas le sujet.

Les Kurdes rêvent tou­jours d’ob­te­nir une auto­no­mie dans les zones qu’ils peuplent, c’est à dire le nord de la Syrie. Le régime syrien n’a évi­dem­ment aucun inté­rêt à accé­der à cette demande mais les Américains ne comptent pas leur deman­der leur avis. Ne pou­vant pas vrai­ment faire autre­ment, ils se sont bien sûr ouverts de leurs inten­tions aux Russes. Lesquels ne voient pas cela d’un très bon oeil. Se don­ner autant de mal pour sau­ver la Syrie et ensuite accep­ter sa par­ti­tion au pro­fit de Kurdes avec qui ils n’ont rien en com­mun ne peut pas a prio­ri entrer dans leur stratégie.

Le temps joue plu­tôt en faveur des Russes, sur­tout depuis qu’ils se sont, fort habi­le­ment, rap­pro­chés des Turcs, au grand dam des Etats-Unis qui espé­raient res­ter en bon terme avec Erdogan par le biais de l’OTAN. C’est mal connaître la Turquie, pour laquelle la haine des Kurdes dépasse toute autre consi­dé­ra­tion stra­té­gique. La Turquie occupe d’ailleurs une par­tie du nord de la Syrie uni­que­ment pour empê­cher les Kurdes de tenir l’en­semble de la fron­tière tur­co-syrienne. De plus elle vient d’a­che­ter des mis­siles anti-aériens aux Russes, afin de bien mon­trer où vont ses pré­fé­rences du moment. Jamais les Turcs n’ac­cep­te­ront un Etat kurde à leurs portes. Il sera inté­res­sant de voir com­ment les Américains résou­dront cette équa­tion inso­luble. Leurs pro­messes faites aux Kurdes res­te­ront-elles lettre morte ? Ce ne serait pas la pre­mière fois qu’ils auraient cyni­que­ment uti­li­sé un peuple pour ensuite l’abandonner !

De la part des Américains, on ne peut tou­te­fois pas écar­ter l’hy­po­thèse d’une incom­pré­hen­sion totale de la situa­tion et de ses rap­ports de forces dans la région. Si les Etats-Unis avaient sai­si les com­plexes rap­ports de force au Proche-Orient, on l’au­rait remar­qué depuis longtemps…

En atten­dant, cha­cun avance ses pions et veut prendre part à la chute de Daesh. Plus tard, Russes et Américains dis­cu­te­ront. Cependant il est cer­tain que Poutine pos­sède plu­sieurs coups d’a­vance. C’est avec les Iraniens qu’il aurait pu connaître davan­tage de sou­cis, tant les chiites sont peu enclins aux conces­sions après avoir tel­le­ment inves­ti en Syrie. Si les Américains avaient fait preuve d’un peu de sub­ti­li­té, ils se seraient rap­pro­chés de l’Iran, afin de com­pen­ser leur brouille avec la Turquie et de per­tur­ber le jeu diplo­ma­tique russe. Mais une telle poli­tique aurait déplu à Riyad et Tel-Aviv. Alors ils ont choi­si le rap­port de force avec la grande puis­sance perse, lais­sant ain­si un bou­le­vard à Poutine.

On ne s’en plain­dra pas. Les chré­tiens de Syrie non plus.

Antoine de Lacoste, 24 sep­tembre 2017