Tant va la cruche à l’eau…

Ici en Provence, nous sommes habi­tués à voir voler ces avions en rase-mottes au des­sus de nos têtes (illus­tra­tion ci-des­sus). Si bas que nous arri­vons à voir la tête du pilote dans le cock­pit. C’est donc avec une grande émo­tion que nous avons appris la mort d’un de ces pilotes, Franck Chesneau, qui s’est écra­sé le 2 août dans la Gard.

La Sécurité civile utilise deux types d’avions, le Tracker et le Canadair.

Eau Terre Feu AirC’est donc à nos pilotes de bom­bar­diers d’eau que revient cette tâche de maî­tri­ser les quatre élé­ments de notre uni­vers :
L’eau qu’ils doivent lar­guer au bon endroit sans mettre en péril les pom­piers au sol ou endom­ma­ger des construc­tions.
La terre, si proche qui ne demande qu’à les absor­ber, par un virage trop ser­ré et sanc­tion­ner la moindre erreur.
L’air agi­té de vio­lentes tur­bu­lences, qui peuvent secouer dan­ge­reu­se­ment la car­lingue et ses occu­pants.
Le feu de l’en­fer, son nuage noir, la fumée opaque, les escar­billes en suspension.

Piloter l’a­vion dans ces condi­tions dan­tesques, res­ter en contact avec les opé­ra­teurs au sol qui les guident, sur­veiller le ciel pour pré­ve­nir toute col­li­sion, et veiller à l’autre avion qui les suit en binôme. Analyser tous ces para­mètres et prendre la bonne déci­sion dans la frac­tion de seconde. Ces gens sont tous d’an­ciens pilotes de chasse de l’ar­mée, rom­pus à toutes les prises de risques.

C’était le cas de Franck Chesneau

Il avait une for­ma­tion de pilote de chasse sur Mirage 2000 et n’a­vait jamais ces­sé de voler depuis qu’il avait quit­té l’ar­mée de l’air il y a dix ans. À 49 ans il était père de deux ado­les­cents de 14 et 17 ans, à pré­sent orphe­lins. Selon l’en­quête le pilote aurait « per­du ses repères dans un nuage très sombre », et « a per­cu­té la cime des arbres en phase des­cen­dante ».

Franck Chesneau était tout seul aux commandes du Tracker

Sur le Canadair, ils sont encore deux pilotres. Alors que le Tracker est équi­pé pour un pilo­tage à deux, la Sécurité civile a dû juger qu’un seul homme pou­vait « faire face(1) » aux élé­ments déchaînés.

Certes, n’im­porte quel avion, y com­pris les plus gros jum­bo-jets, peuvent être pilo­tés par un homme seul. Mais qui ima­gi­ne­rait voya­ger s’il n’y avait qu’un seul pilote dans l’a­vion. Si les avions ont des doubles com­mandes, c’est pour assu­rer une sécu­ri­té sup­plé­men­taire au vol, notam­ment en cas de défaillance du pilote aux com­mandes. Cette pré­cau­tion est d’au­tant plus pré­gnante que l’en­vi­ron­ne­ment est périlleux. L’appui d’un copi­lote est alors indispensable.

De surcroît ces avions étaient en sursis depuis 10 ans

Un rap­port du Sénat publié en 2006 sti­pu­lait que les Trackers, acquis dans les années 1980 de « concep­tion ancienne » devaient être reti­rés du ser­vice en 2008. Nous sommes en 2019.

C’est main­te­nant au BEA (Bureau d’Enquêtes et d’Analyses pour la sécu­ri­té de l’a­via­tion civile) qu’il appar­tient de déter­mi­ner les causes de ce drame.
• ou bien il s’a­git d’une erreur humaine auquel cas, comme expli­qué ci-des­sus, le pilo­tage à deux s’im­po­se­ra. Ces pilotes ne peuvent pas voler au delà de l’é­pui­se­ment.
• ou alors c’est une défaillance méca­nique du « sexa­gé­naire Tracker » qui aurait dû être rem­pla­cé depuis 2008, mais dont on pro­longe la vie encore et toujours.

Pilotes Canadairs grève Marseille 2012

Les pilotes en grève, à Marseille en 2012

Dans ces deux cas, l’État va devoir mettre la main au porte-mon­naie ce qu’il refuse à faire jus­qu’à pré­sent.
Vers quelle piste vont s’o­rien­ter les experts du BEA, fonc­tion­naires « indé­pen­dants » de l’État ? On peut s’in­ter­ro­ger sur l’ob­jec­ti­vi­té de ces enquêtes menées par notre gou­ver­ne­ment contre ses propres erreurs comme dans ces deux exemples récents : le mégot « retrou­vé » qui a incen­dié Notre-Dame ou l’IGPN qui a décla­ré qu’il n’y avait pas de lien entre la noyade de Steve Maia et la charge de la police à Nantes. Il y aurait bien une troi­sième hypo­thèse qui per­met­trait de bot­ter en touche et pré­ser­ver le Trésor public. Vont-ils nous trou­ver que le Tracker aurait per­cu­té un petit coli­bri venu éteindre l’in­cen­die de savane ? Laissons faire l’i­ma­gi­na­tion de ces enquê­teurs, qui n’en manquent pas.

Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise.

Cruche brisée

Ici, ce sont des vies qui sont brisées.

Michel Lebon

(1) « Faire Face » est la devise de l’École de l’Air de Salon de Provence et celle de ces pilotes de bom­bar­diers d’eau.