Après les agriculteurs, les gendarmes, les policiers… au tour des directrices d’école !

Christine Renon, direc­trice, a été retrou­vée morte lun­di dans le hall de son école mater­nelle. Elle avait envoyé des lettres à ses col­lègues à la tête d’autres écoles de la ville pour expli­quer son der­nier geste… (cf. la fin de l’ar­ticle)
Seuls les ensei­gnants pour­ront en effet com­prendre les rai­sons de son geste. La plu­part des autres ne com­pren­dront pas pour­quoi on se sui­cide dans cette pro­fes­sion où l’on peut pro­fi­ter des vacances une bonne quin­zaine de semaines dans l’an­née avec un salaire bien trop consé­quent vu le nombre d’heures effec­tuées chaque semaine.

Le mal-être des enseignants s’aggrave d’année en année, trop souvent dans le silence

Pourtant, si des petits mou­ve­ments, comme celui des « sty­los rouges » com­mencent à fré­mir, on est encore loin d’une réelle vague de pro­tes­ta­tion, trop sou­vent rete­nue parce que les ensei­gnants ont déjà mau­vaise presse, comme si on avait un peu honte de se plaindre avec tous ces avan­tages qu’on leur attri­bue sans jamais véri­fier si c’est vrai­ment exact.

Ce ras le bol est de plus en plus fré­quent, en par­ti­cu­lier dans le corps des direc­teurs et direc­trices, de plus en plus écra­sés par des tâches diverses, sou­vent inutiles, rare­ment indis­pen­sables mais chro­no­phages pour des per­sonnes qui ont quand même une mis­sion pre­mière : ensei­gner. Car n’ou­blions pas que le direc­teur ou la direc­trice d’une école est avant tout un ensei­gnant. Qu’il a en charge une classe, dont il est heu­reu­se­ment par­fois déchar­gé à mi-temps ou très excep­tion­nel­le­ment à temps com­plet. C’est donc un double tra­vail qu’on lui impose.
Le rôle du direc­teur d’é­cole a beau­coup chan­gé ces der­nières décen­nies. L’Administration a pris l’ha­bi­tude de pres­su­rer jus­qu’au bout les bonnes volon­tés, sans jamais offrir de réelles com­pen­sa­tions, ni finan­cières ni morales.

Pour gérer une école, il faut orga­ni­ser les classes, infor­mer les ensei­gnants, pré­pa­rer au mieux les ser­vices, être à la base de pro­jets, assis­ter à maintes réunions avec l’Inspection, la mai­rie, les parents.
• Ce sont aus­si des tâches admi­nis­tra­tives de plus en plus pesantes, les élèves d’un ensei­gnant malade dont il faut s’oc­cu­per, parce qu’il n’est pas rem­pla­cé.
• C’est en début d’an­née : pré­pa­rer les élec­tions des parents d’é­lèves, et en fin d’an­née pré­voir les classes pour l’an­née sui­vante et les com­mandes de maté­riel qui en découlent.
• C’est gérer les conflits avec les parents, entre parents et ensei­gnants, par­fois entre ensei­gnants, avec les élèves.
• C’est accueillir dans les classes des élèves en situa­tion de han­di­cap, avec leur auxi­liaire de vie sco­laire, (par­fois trois dans la même classe) qui vont mono­po­li­ser beau­coup de temps au détri­ment des autres élèves.
• C’est répondre au télé­phone alors qu’on explique une leçon de maths (non, il n’y a plus de secré­taires, il n’y en a pas eu long­temps !).
• C’est mettre en place chaque nou­velle réforme à chaque chan­ge­ment de ministre.
• C’est se réunir avec le col­lège du sec­teur, gérer les inter­ve­nants exté­rieurs, mettre en place des exer­cices de sécu­ri­té.
• C’est accueillir des ensei­gnants débu­tants en for­ma­tion, et les aider, les sou­te­nir.
• C’est regrou­per et inter­pré­ter les éva­lua­tions de début d’an­née, et ain­si pré­pa­rer l’é­cole à leur remé­dia­tion.
• C’est se réunir en équipes édu­ca­tives avec parents, psy, méde­cins, pour suivre la sco­la­ri­té et les pro­blèmes d’un élève, une petite heure par élève, et il y en a sou­vent une bonne dizaine par école…

Et à côté de tout cela, ne pas oublier qu’il faut faire classe à ses propres élèves !

Et tout cela, seul. Ne comp­tez pas sur l’Administration pour vous aider. Chaque direc­teur ou direc­trice doit se débrouiller, faire au mieux. Ce qu’ils font tous avec res­pon­sa­bi­li­té et conscience pro­fes­sion­nelle. Mais jus­qu’à un cer­tain point seule­ment car aucune com­pen­sa­tion ne vient en échange. Au contraire, leur répu­ta­tion est sans cesse mise en cause : il ne font pas assez d’heures et sont trop payés pour cela pour la plu­part des gens.

La seule direc­tion d’une école demande faci­le­ment 20h de tra­vail par semaine, aux­quelles il faut ajou­ter (pour un direc­teur demi-déchar­gé) les 12 heures en classe, les heures de pré­pa­ra­tion, les heures de cor­rec­tion, la jour­née est loin d’être ter­mi­née à 16h30 en sachant qu’elle a sou­vent com­men­cé avant 8h.
Tout cela pour un salaire net nor­mal d’en­vi­ron 2 500 € en fin de car­rière pour un simple pro­fes­seur des écoles recru­té à Bac+5, aux­quels on peut ajou­ter géné­reu­se­ment envi­ron 220 € si il est direc­teur d’une école de plus de 10 classes…

Autre chose, la direc­trice en ques­tion ensei­gnait en Seine St Denis, un dépar­te­ment bien connu dans l’Éducation natio­nale. C’est là que beau­coup d’en­sei­gnants débutent leur car­rière, car ces postes sont plus faciles à obte­nir dans les concours. On y trouve éga­le­ment de nom­breux contrac­tuels, qui n’ont sou­vent jamais vu une classe, mais que l’Administration y place quand même. Dans ces écoles, les équipes péda­go­giques changent beau­coup plus sou­vent qu’ailleurs. Difficile donc de mener à bien des pro­jets à long terme. On ne s’é­ten­dra pas sur les causes de la désaf­fec­tion de ce dépar­te­ment, cha­cun les aura bien comprises.

Avec l’accord de sa famille, vous êtes invi­tés à prendre connais­sance de la lettre envoyée par Christine Renon le same­di 21 sep­tembre 2019, juste avant de se don­ner la mort sur son lieu de travail.

Patrice LEMAÎTRE (ancien direc­teur d’école)

Enseignants - Parents élèves

NDLR : lire éga­le­ment Policiers et pay­sans : pour­quoi se sui­cident-ils ? du 24 mai 2019