Sous-marins : une marque discrète de l’excellence française

Par l’entremise de Jean-Pierre Daugreilh, Nice Provence Info a pu ren­con­trer à Toulon l’amiral Jean-Yves Waquet, tous deux conseillers régio­naux de Provence Alpes Côte d’Azur.

Monsieur Daugreilh sou­hai­tait en effet faire valoir l’excellence du savoir-faire fran­çais dans ce domaine mari­time — plus pré­ci­sé­ment sous-mari­nier — qui vaut à notre pays une posi­tion en pointe au niveau mon­dial. Les retom­bées tech­no­lo­giques, éco­no­miques, poli­tiques sont consi­dé­rables pour la France alors que nous n’en sommes pas conscients.

Waquet-Daugreilh - Toulon - 11 octobre 2019

L’amiral Jean-Yves Waquet (à gauche) avec Jean-Pierre Daugreilh (à droite)

Nous ne pou­vions pas mieux tom­ber pour nous éclai­rer sur le sujet que sur l’amiral Waquet, lui qui a pas­sé 37 ans dans la Marine Nationale dont 23 ans dans les forces sous-marines. L’ancien ami­ral tota­lise ain­si plus de 25 000 heures en plon­gée au cours de ses dif­fé­rentes affec­ta­tions dans les forces sous-marines. 25 000, cela repré­sente quelques années sous l’eau ! Il assu­ra notam­ment le com­man­de­ment des SNLE (sous-marins nucléaires lan­ceurs d’engins) Le Terrible puis Le Redoutable. L’amiral Waquet diri­gea ensuite le centre d’entraînement et d’instruction des SNLE.

Les sous-marins jouent une rôle essen­tiel dans le déploie­ment de la force de dis­sua­sion nucléaire fran­çaise. Sa com­po­sante océa­nique repose sur les SNLE, mais aus­si en com­plé­ment sur les SNA (sous-marin nucléaire d’at­taque). Une pre­mière géné­ra­tion s’ap­puyait sur :
1) Les SNLE de la classe Le Redoutable : la pro­pul­sion nucléaire leur per­met­tait de s’affranchir des remon­tées à la sur­face. Ils étaient capables de res­ter long­temps (plus de 2 mois) en immer­sion totale sans se faire repé­rer. Ils sont longs (128 m) et lourds (9 000 tonnes). Leur mis­sion était d’assurer la dis­sua­sion en fai­sant savoir à l’ennemi qu’il pour­rait être tou­ché gra­ve­ment même après une pre­mière attaque très des­truc­trice sur le sol natio­nal. Ces sous-marins consti­tuaient la com­po­sante océa­nique (FOST – Force Océanique STratégique) de notre dis­sua­sion avec la 2e com­po­sante, aéro­por­tée, équi­pée des avions Rafale. Cette dis­sua­sion s’ap­puie sur des mis­siles de croi­sière à tête nucléaire, les FAS (Forces Aériennes Stratégiques).
2) Les SNA de la classe Rubis. Ces sous-marins, plus petits, sont indis­pen­sables à la pro­tec­tion de notre force aéro­na­vale car ils concourent à une dis­sua­sion conven­tion­nelle tout en étant de redou­tables chas­seurs de sous-marins. Propulsés à l’énergie nucléaire éga­le­ment, ils sont plus légers (2 700 tonnes), plus courts (70 m) et plus rapides (jusqu’à 25 nœuds) que les SNLE. Ils peuvent ral­lier rapi­de­ment un théâtre d’opérations et y res­ter longtemps.

Précisons que tous ces équi­pe­ments nucléaires res­tent du res­sort natio­nal et ne sont donc pas inté­grés à l’OTAN.

Ces deux classes de sous-marins sont actuellement en cours de rénovation.

1) Après avoir été la clef de voûte de la dis­sua­sion nucléaire stra­té­gique, les SNLE de la classe Redoutable sont rem­pla­cés par des engins de la classe Triomphant, dont l’un des objec­tifs de concep­tion était d’être indé­tec­tables. Ils sont plus longs (138 m) et plus lourds (14 000 tonnes) tout en étant encore plus silen­cieux. Ces nou­veaux engins sont équi­pés de 16 mis­siles à tête mul­tiple (6 têtes nucléaires indé­pen­dantes) d’une por­tée de 9 000 km.
2) Les SNA com­mencent à être rem­pla­cés par des sous-marins de la classe Suffren (la classe de sous-marins porte sou­vent le nom du pre­mier de la série) dans le cadre du pro­gramme Barracuda. Ces nou­veaux sous-marins sont éga­le­ment plus gros (5 000 tonnes), plus rapides que leurs pré­dé­ces­seurs et équi­pés à pré­sent de mis­siles de croi­sière capables d’être lan­cés en immer­sion. Ils sont éga­le­ment conçus pour déployer des nageurs de com­bat via un han­gar de pont amo­vible. Le pre­mier de la gamme, bap­ti­sé le Suffren, a été lan­cé en juillet der­nier aux chan­tiers navals de Cherbourg.

L’objectif de rendre ces sous-marins le plus silen­cieux pos­sible, notam­ment les SNLE, a induit d’in­nom­brables inno­va­tions tech­niques, comme par exemple dans la pré­ci­sion de la navi­ga­tion avec des cen­trales iner­tielles très per­for­mantes puisque le sous-marin doit se situer en per­ma­nence sans avoir à remon­ter en surface.

Centrale inertielle

Principe de fonc­tion­ne­ment de la cen­trale inertielle

Ces sous-marins sont deve­nus si dis­crets que deux sous-marins SNLE, l’un bri­tan­nique, l’autre fran­çais, sont entrés en col­li­sion en 2009, heu­reu­se­ment sans gra­vi­té. Depuis lors les pro­grès n’ont pas cessé.

Des avan­cées tech­no­lo­giques majeures furent éga­le­ment obte­nues avec les mis­siles balis­tiques, tant dans la pré­ci­sion que dans la capa­ci­té des­truc­trice avec notam­ment des charges à tête mul­tiple, cha­cune pou­vant atteindre une cible différente.

Actuellement la force océa­nique (com­po­sante sous-marine de nos forces nucléaires) est dotée de 4 SNLE et 6 SNA. Si les SNLE sont basés en Bretagne, à l’Île Longue, les SNA res­tent basés à Toulon, mal­gré les vel­léi­tés des élus bretons.

SNA Améthiste Toulon

Retour du SNA Améthyste à Toulon après cinq mois de déploie­ment [source Marine natio­nale 2015]

Forte de ce savoir-faire très poin­tu et vali­dé par des décen­nies d’opérations, la France, avec Naval Group, est très bien pla­cée sur le mar­ché mon­dial. Notre indus­trie pro­pose notam­ment des sous-marins à pro­pul­sion au die­sel-élec­trique en anaé­ro­bie, ou AIP (abré­via­tion de Air Independent Propulsion), qui per­met, com­plé­tée par des piles à com­bus­tible, au sous-marin de se pro­pul­ser sans uti­li­ser d’air exté­rieur, ce qui lui évite de sor­tir son schnor­chel. Ces sous-marins sont éga­le­ment capables de res­ter jusqu’à trois mois en immer­sion totale qua­si­ment comme les sous-marins à pro­pul­sion nucléaire.

La France a signé en 2016 un contrat pour la livrai­son de 12 sous-marins océa­niques de la classe Suffren à l’Australie pour un mon­tant éva­lué à plus de 50 mil­liards de dol­lars aus­tra­liens (équi­va­lant à 34 mii­liard d’eu­ros, sachant que ce mon­tant glo­bal est don­né avec les mis­siles qui seront four­nis par les Américains). Ce contrat pré­voir un trans­fert par­tiel de tech­no­lo­gie et la construc­tion de cer­tains de ces sous-marins en Australie.

La France pro­pose éga­le­ment des sous-marins de type Scorpène plus petits (autour de 3 000 tonnes) et de dif­fé­rents gaba­rits, mais à par­tir d’une ossa­ture com­mune afin de ratio­na­li­ser la pro­duc­tion. De nom­breux pays ont rete­nu cet équi­pe­ment, notam­ment le Chili, la Malaisie, l’Inde, ou encore les Philippines. Avec cer­tains pays d’Amérique latine, la France exporte en par­te­na­riat avec l’Espagne. La France a signé un impor­tant contrat avec le Brésil qui inclut un impor­tant trans­fert de tech­no­lo­gie puisque les sous-marins sont fabri­qués sur place. Ce pays ne cache pas qu’il sou­hai­te­rait acqué­rir la maî­trise de la pro­pul­sion nucléaire. Les négo­cia­tions — en cours — sont très com­pli­quées. D’autres négo­cia­tions sur la livrai­son de sous-marin à pro­pul­sion nucléaire se sont enga­gées avec le Canada, mais elles n’ont pas abouti.

La place occu­pée par la France ne doit pas cacher que ce sec­teur est très concur­ren­tiel avec des acteurs alle­mands, anglais, sué­dois, japo­nais, nord-amé­ri­cains bien sûr et bien­tôt chi­nois. La France était en lice avec le Japon sur le contrat de SNA en Australie. La réus­site de la France est révé­la­trice d’un excellent savoir-faire qui induit des retom­bées éco­no­miques consi­dé­rables. À force de vou­loir être silen­cieux, nos sous-marins sont très dis­crets. En effet de manière quelque peu incom­pré­hen­sible, la presse se fait faci­le­ment l’écho des quelques réus­sites — ou des échecs — en matière aérienne, alors qu’elle reste dis­crète sur ses suc­cès impor­tants en matière sous-marine.

Cette lacune est à pré­sent com­blée. Nous en remer­cions l’a­mi­ral Waquet.

Waquet - Toulon - 11 octobre 2019

[NDLR : notre illus­tra­tion à la une : basés à Toulon, les SNA sont fabri­qués à Cherbourg
Source : Cols bleus – Marine natio­nale]

Un excellent repor­tage sur l’his­toire des sous-marins fran­çais fut récem­ment dif­fu­sé sur la chaîne RMC Découverte :

L'épopée des sous-marins français - RMC Découverte

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