Symbolisme des étendards de la Provence

À l’heure où nos élus incultes s’efforcent d’effacer l’Histoire en occul­tant les bla­sons de nos com­munes en faveur de « logos » « dési­gnés » par des « agences de com­mu­ni­ca­tion » com­plices, notre édi­to­ria­liste PGS a vou­lu nous rap­pe­ler la sym­bo­lique mil­lé­naire qui entoure nos armoi­ries et nous relie au plus pro­fond de notre mémoire collective.

Aux fron­tons de nos mai­ries et autres bâti­ments offi­ciels en Provence flottent, outre le dra­peau tri­co­lore et celui de l’Europe, un et par­fois deux éten­dards sym­bo­li­sant l’appartenance régio­nale. L’un, jaune à bandes rouges, est celui de la Catalogne et l’autre bleu, cen­tré par le lys d’or et por­tant un lam­bel rouge, est issu de la monar­chie fran­çaise. S’intéresser à leurs signi­fi­ca­tions nous plonge dans un domaine où l’Histoire se conjoint à la légende tan­dis que le sym­bo­lisme fait écho à plu­sieurs thèmes fon­da­men­taux de l’imaginaire européen.

Bref rappel historique

Le dra­peau jaune rayé de rouge a pour ori­gine la Catalogne. La pre­mière fois que ces « armes » (équi­valent d’armoiries), dites « anciennes », sont men­tion­nées, c’est sous Bérenger V de Provence (1209−1215), petit-fils d’Alphonse II d’Aragon. Selon l’éminent spé­cia­liste de la science héral­dique, Michel Pastoureau, ces armes appar­tien­draient au Royaume d’Arles et les comtes de Barcelone, gou­ver­nant de la Provence, en seraient à l’origine.

Un légendaire paré d’héroïsme

Cet éten­dard, consi­dé­ré comme l’un des plus anciens dra­peaux d’Europe, a reçu le nom cata­lan de Senyera Reial (la « Saignée Royale ») et résulte de l’histoire – réécrite par la légende – d’un per­son­nage extra­or­di­naire appe­lé Guilfred le Velu (ain­si qua­li­fié pro­ba­ble­ment à cause de son abon­dante pilo­si­té). Né aux envi­rons de 840 et décé­dé en 897, il était le fils de Sunifred Premier de Barcelone, celui qui inau­gure la lignée des comtes de Catalogne. Les noms de Sunifred et de Guilfred sont d’origine ger­ma­nique ; en effet, Guilfred dérive de Wigfred et signi­fie « Paix vic­to­rieuse ». Dénomination qui convient par­fai­te­ment au per­son­nage car, si on lui doit des œuvres paci­fiques comme la fon­da­tion d’abbayes (Saint Jean des Abbadesses, en 885, et Santa Maria de Ripoll, consa­crée en 888), ce fut parce que son épée, maniée par un bras des plus vigou­reux, ne s’est pas rouillée dans le four­reau. Le 11 août 897, Guilfred est mor­tel­le­ment bles­sé en com­bat­tant héroï­que­ment les Sarrasins de Lubb ibn Muhammad au siège de Lerida. On a dit à tort qu’il avait péri en com­bat­tant les Normands (ou un noble Franc nom­mé Salomon).

Senyera_catalanaEn réa­li­té, avec ses troupes, il fut vain­queur des enva­his­seurs maures mais reçut un coup fatal. Présent sur les lieux de l’affrontement, le roi de France, Charles le Chauve, l’aurait récom­pen­sé en lui offrant un bla­son pour sa des­cen­dance : le monarque plon­gea quatre de ses doigts – l’index, le majeur, l’annulaire et l’auriculaire – dans le sang du mou­rant et tra­ça sur le bou­clier doré du héros autant de traits ver­ti­caux. Au seuil de la mort, un preux che­va­lier rece­vait sa récom­pense, de la main d’un roi, sous l’aspect de superbes armoi­ries. Jailli de sa bles­sure, le flux rouge confé­rait désor­mais à ceux de son lignage un emblème syno­nyme de bra­voure et cet écu se révé­lait d’autant plus digne de res­pect qu’un sou­ve­rain en était le créateur.

A prio­ri, l’histoire de ce bla­son pour­rait s’arrêter là. Mais ce ne sera pas le cas. Il y a bien d’autres choses à dire et tout ce que nous venons d’énoncer n’en consti­tue que les pré­misses. Avant que de s’avancer dans le sin­gu­lier domaine de l’ésotérisme, rap­pe­lons que l’héraldique se pré­sente comme une science très codi­fiée fon­dée sur un cor­pus de signi­fi­ca­tions hau­te­ment sym­bo­liques. Et, non­obs­tant son appa­rente sim­pli­ci­té, la Senyera Reial va nous conduire vers des concepts struc­tu­rant notre appar­te­nance à un ensemble ethnoculturel.

Un message sang et or

Cet éten­dard est cou­ram­ment qua­li­fié par les Catalans de « sang et or ». Le mot sang est jus­ti­fié par le sacri­fice de Guilfred, mais pour­quoi l’« or » ? Ici inter­vient le lan­gage héral­dique car, outre les innom­brables figures que com­porte la déco­ra­tion des bla­sons, les cou­leurs uti­li­sées sont sim­ple­ment au nombre de six en comp­tant le noir, dési­gné par la for­mule « de sable »(1) et le blanc, per­çu comme « argent » ; les autres teintes sont le rouge, dit « de gueules » (2), le bleu, deve­nu « azur » et le vert, « sinople ». Le jaune est appe­lé « or ». Ainsi qu’on le voit, les deux métaux pré­cieux – l’or et l’argent – prennent place dans la codi­fi­ca­tion des couleurs.

Le cha­pi­teau de Saint-Nectaire mon­trant, durant la Cène, la dis­tri­bu­tion des pains par le Christ, au centre, entre deux convives qui sont cer­tai­ne­ment Pierre (por­tant barbe et mous­tache) et Jean (tou­jours repré­sen­té imberbe). On dis­tingue très bien que ces pains ont l’apparence d’une roue solaire. Au pas­sage, notez, posés sur des plats, les deux pois­sons direc­te­ment allu­sifs au signe astro­lo­gique dont l’entrée cor­res­pond à la nais­sance de Jésus.

Rappelons que, depuis les temps antiques, par ana­lo­gie de brillance, l’or est le métal du soleil et l’argent celui de la lune. Sur les armes cata­lanes et pro­ven­çales, le liquide vital est donc asso­cié à la lumière solaire. Qu’il s’agisse de la tra­di­tion chré­tienne ou de reli­gio­si­tés anté­rieures, les images conjoi­gnant la lumière et le sang ne manquent pas.

Exemple, dans les mythes irlan­dais, le héros Cúchulainn , entrant dans un état second lorsque sa dimen­sion supra­hu­maine émerge au seuil d’un affron­te­ment, montre des étin­celles ou des gouttes de sang à la pointe de ses che­veux. Mais, pour demeu­rer dans le contexte des Évangiles, sou­ve­nons-nous d’un épi­sode – la Transfiguration – dans lequel, sur le mont Thabor, le Christ révèle à Pierre, Jacques et Jean, sa véri­table nature sous l’aspect d’un corps sou­dain rayon­nant : « Il fut trans­fi­gu­ré devant eux » car « son visage res­plen­dit comme le soleil, et ses vête­ments devinrent blancs comme la lumière » (3). Et c’est ce même per­son­nage qui, ins­ti­tuant l’eucharistie lors du der­nier repas avec les apôtres, leur dit qu’ils reçoivent son sang sym­bo­li­sé par le vin et sa chair par le pain. Les dis­ciples sont appe­lés à ingé­rer la cor­po­réi­té lumi­neuse du Rédempteur. Le temps des cathé­drales offre de mul­tiples repré­sen­ta­tions de ce thème. Ainsi, sur un cha­pi­teau de l’église romane de Saint-Nectaire, on voit le Christ dis­tri­buer le pain à ses dis­ciples. Il s’agit de pains ronds mar­qués d’une croix « grecque » (c’est-à-dire aux branches égales) qui, si l’on s’est un peu frot­té à l’archéologie, font immé­dia­te­ment son­ger aux roues solaires pré­his­to­riques tra­cées dans le roc, depuis la Vallée des Merveilles jusqu’en Scandinavie.

La barque solaire, d’après une gra­vure pré­his­to­rique de Tune (près de Sarpsborg, sud-est de la Norvège). La roue figu­rant l’astre diurne se retrouve dans la Vallée des Merveilles.

Une autre image, encore plus expli­cite, tirée du chef‑d’œuvre de Jan van Eyck, Le retable de l’Agneau Mystique,
montre que le sang lumière appar­tient à la phy­sio­lo­gie du supra­hu­main ; et ce, d’une façon sym­bo­lique puisque l’être outre­pas­sant de beau­coup l’homme ordi­naire est figu­ré sous l’apparence d’un agneau. Dans nos terres, la
com­mune de Grasse pré­sente l’Agneau pas­cal sur son bla­son. Le peintre fait ici réfé­rence à ces mots que Jean le
Baptiste des­tine au Christ et que rap­porte l’autre Jean, l’Évangéliste : « Voici l’agneau de Dieu… » (4). Agneau qui, selon l’Apocalypse, a l’apparence d’un bélier et même d’un super bélier puisqu’il arbore sept cornes. Dans le monde gré­co-romain, le bélier appar­tient à la sym­bo­lique du dieu des com­bats, Arès (Mars), auquel est attri­buée la cou­leur rouge direc­te­ment évo­ca­trice du sang.

Le dieu des com­bats, Mars, vêtu d’écarlate et mon­tant un bélier rouge. Illustration d’un manus­crit armé­nien (datant du XVe siècle) consa­cré à l’astrologie et conser­vé au Matenadaran Museum à Erevan, Arménie.

Inspirée par l’Apocalypse de Jean, cette pein­ture du XIVe siècle (dont nous ne repro­dui­sons que la par­tie cen­trale), signée de Jan van Eyck, montre, debout sur l’autel du Jugement Dernier, l’Agneau divin qui
verse son sang dans un calice direc­te­ment évo­ca­teur du Graal. Métaphorique du Christ, l’Agneau est auréo­lé de radiance. La régé­né­ra­tion de l’espèce humaine se déroule sous l’influence du sang d’un être de lumière.

Symbolique visi­ble­ment reprise par le rédac­teur de l’Apocalypse comme on le constate en lisant la des­crip­tion du Christ rédemp­teur sur­ve­nant sous un aspect guer­rier lors de l’affrontement final contre la coa­li­tion des ténèbres : « Ses yeux sont une flamme ardente » et « Il est revê­tu d’un man­teau teint de sang […] De sa bouche sort un glaive aigu pour en frap­per les nations » (5). Lors d’une vision inau­gu­rale, l’Évangéliste Jean contemple ce même per­son­nage assis sur un trône. Là encore, « ses yeux étaient comme une flamme ardente » (6) et « de sa bouche sor­tait un glaive aigu à double tran­chant » (7). Et sur­tout, « son visage était comme le soleil, quand il luit dans sa force » (8). On note­ra qu’aux attri­buts d’Arès (la flamme et le glaive) s’ajoute l’image émi­nem­ment apol­li­nienne du soleil.

Bien que chré­tien, l’auteur de ces lignes fait preuve d’une par­faite connais­sance des figures mytho­lo­giques de la
Grèce païenne. Sans doute ne faut-il pas s’en éton­ner puisqu’il s’adresse à sept cités d’Asie mineure alors grecques ain­si qu’en témoignent leurs noms : Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie, Laodicée.
La mon­naie de Sardes, ain­si que l’a mon­tré Jean Richer, com­por­tait la lyre d’Apollon et se situe exactement
sur la même lati­tude que Delphes, la cité consa­crée à ce dieu lumi­neux (9).

Paganisme_et_ChristianismeDernière cita­tion en rap­port avec le sang, il est dit que, devant le trône divin, on voit « debout un agneau, comme égor­gé » (10). N’oublions pas que cet « agneau », en réa­li­té bélier aux sept cornes (11), repré­sente le Christ, autre­ment dit « le Verbe » qui répand sa parole et son sang pour la rédemp­tion du plus grand nombre, d’où la men­tion de la gorge. Car, l’agneau-bélier divin n’est pas mort (pas plus que celui qui, après avoir ver­sé son sang sur la croix, a res­sus­ci­té) puisque l’on nous dit qu’il se tient « debout ». Sur son retable, Jan van Eyck ne repré­sente pas l’Agneau égor­gé mais por­teur d’une bles­sure au niveau du cœur (rap­pe­lant le coup de lance qui frap­pa Jésus en croix) et de laquelle jaillit le flux rouge que recueille un calice d’or.

Tout le monde aura com­pris que cette der­nière image ren­voie à l’Eucharistie dans la litur­gie chré­tienne mais aus­si et sur­tout à la légende du Graal, calice mira­cu­leux conte­nant le sang chris­tique et qui s’illumine comme un soleil (12), nous dit le pre­mier à l’évoquer, le poète Chrétien de Troyes (13). Et pré­ci­sé­ment, si le Graal rayonne, c’est par le pou­voir du sang-lumière qu’il contient.

L’origine des hardiesses

On pour­ra objec­ter que la com­pa­rai­son entre le sang ver­sé par Guilfred et celui du Christ est exa­gé­rée. Certes, une dis­tance existe entre le sang d’un homme et celui d’un être consi­dé­ré comme divin, mais il ne fau­drait pas oublier que, dans l’esprit du Moyen Âge, le sacri­fice chris­tique relève du domaine héroïque. Ce qui, du reste, explique ces mots énig­ma­tiques que l’on trouve dans un autre récit consa­cré au Graal (14). Ils sont pro­non­cés par Galaad, incar­na­tion de l’excellence che­va­le­resque, au moment suprême où il lui est don­né de contem­pler l’intérieur du sur­na­tu­rel calice. Et, comme on le sait, à l’intérieur demeure le sang du Sauveur. « Galaad s’avança et regar­da dans le vase. Aussitôt qu’il y eut jeté les yeux, il se mit à trem­bler, car sa chair mor­telle aper­ce­vait les choses spi­ri­tuelles. Il ten­dit les mains au ciel et dit (…) je vois à décou­vert ce que langue ne sau­rait décrire ni cœur pen­ser. Je contemple ici l’origine des grandes har­diesses et la rai­son des prouesses. Je vois ici les mer­veilles de toutes mer­veilles… » (15). Point n’est besoin de com­men­ter lon­gue­ment ce texte, « har­diesses » et « prouesses » sont le fait des che­va­liers et de ceux dont la témé­ri­té outre­passe l’attachement à l’existence. Le héros craint d’autant moins la mort qu’il en accepte d’avance le risque et le per­çoit comme la confron­ta­tion suprême avec ses limites humaines. À ce niveau de per­cep­tion, dans un contexte médié­val, le sang que contient le Graal reflète celui répan­du par tous les preux tom­bés pour que vive et s’épanouisse la civi­li­sa­tion euro­péenne. En consé­quence, le flux vital de Guilfred, en com­po­sant le bla­son de Catalogne, répond chro­ma­ti­que­ment à cette asser­tion ; et ce, d’autant plus qu’il se conjoint à un fond d’« or » – nom­mé le « champ » en héral­dique – allu­sif à la lumière solaire et au métal du sur­na­tu­rel calice.

Les traits rouges tra­cés par le roi sont donc quatre et il fau­drait expli­ci­ter le sym­bo­lise de ce chiffre. Nous nous réser­vons de le faire très pro­chai­ne­ment à l’occasion d’un autre article qui sera consa­cré à ces mys­té­rieuses marques com­pa­gnon­niques lais­sées sur des lin­teaux de portes dans nos vil­lages pro­ven­çaux. Marques rame­nant à un autre thème fon­da­men­tal de l’imaginaire euro­péen et que nous esquis­sons par les lignes qui suivent.

Le second étendard

Blason_Provence_lysAinsi qu’on l’a dit, la Senyera flotte par­fois de concert avec l’autre dra­peau dévo­lu à la Provence et qui vient de la royau­té française.

On a cou­tume de dire que le bleu (l’« azur » en héral­dique) ren­voie à la chape de saint Martin (pro­tec­teur de la France) et le lys d’or pro­vient de l’ancienne emblé­ma­tique franque. Troisième com­po­sante, en rouge (« de gueules », donc), le « lam­bel » est une tra­verse hori­zon­tale géné­ra­le­ment posi­tion­née « en chef » (le haut du bla­son) et com­por­tant des pen­dants (le plus sou­vent au nombre de trois) qui, à l’origine, étaient rec­tan­gu­laires (ils ne devien­dront tra­pé­zoï­daux qu’à la Renaissance). Ce « meuble » (ou com­po­sante) du bla­son avait pour fonc­tion de dési­gner le fils aîné. Au décès du père, il reve­nait au fils cadet d’arborer le lam­bel. Le terme de « lam­bel » serait emprun­té au latin lam­be­rare signi­fiant « déchi­rer ». Il pour­rait éga­le­ment déri­ver du mot ger­ma­nique lam­pen, « lambeau ».

VisitationEn fait, nous serions en pré­sence d’un lam­beau artis­tique résul­tant du décou­page d’un tis­su afin d’obtenir des inden­ta­tions ou, si l’on pré­fère, un cré­ne­lage. Cette tech­nique ajou­tait une ori­gi­na­li­té à cer­tains vête­ments médié­vaux tels que des cha­pe­rons ou des houp­pe­landes (dont l’extrémité des manches se pré­sen­tait ain­si crénelée).

La pièce la plus inté­res­sante de cet ensemble est le lys. Dans le sym­bo­lisme flo­ral, ce végé­tal est dési­gné comme emblé­ma­tique de la pure­té, mais aus­si de l’innocence et de la vir­gi­ni­té. Raison pour laquelle, très fré­quem­ment (pour ne pas dire sys­té­ma­ti­que­ment), un lys est repré­sen­té par les peintres entre la vierge Marie et l’archange Gabriel dans la scène dite de l’« Annonciation ».

Toutefois, au-delà de cette expli­ca­tion très connue, se cache une autre signi­fi­ca­tion, de beau­coup plus secrète dès lors que ren­voyant à des don­nées fon­da­trices de l’appartenance euro­péenne. Comme la Senyera. Par son gra­phisme sty­li­sé, le lys héral­dique déri­ve­rait d’un ensemble de signes venus des temps néo­li­thiques dont quelques exem­plaires ont été réunis par un émi­nent uni­ver­si­taire alle­mand nom­mé Helmuth Arntz (16).

Nous en choi­sis­sons trois :

Et pro­po­sons comme exemple archéo­lo­gique ce motif tra­cé sur la stèle de Kermarquer, Morbihan :

stèle-de-Stele_KermarquerNous serions en pré­sence d’évocations gra­phiques d’un jaillis­se­ment car on pense immé­dia­te­ment à un jet d’eau sur­gis­sant du sol ou encore, avec un peu d’imagination, à l’épanouissement d’un végé­tal. Il s’agirait alors d’exprimer une idée de fécon­di­té car le ver­doie­ment accom­pagne tou­jours le flux des sources et des fon­taines. Transposition de ce signe, le lys entre Gabriel et la Vierge se fait méta­pho­rique de la gros­sesse à venir de Marie. Mais le sym­bo­lisme de cette blanche fleur va encore plus loin… vers le nord.

Comme le fai­sait remar­quer Dan Brown dans son Da Vinci Code , un lys accom­pa­gnait fré­quem­ment la pointe indi­quant le nord d’une rose des vents. Bien enten­du, ce média­tique auteur n’en révèle pas la signi­fi­ca­tion la plus éso­té­rique. Soit qu’il l’ignore, soit qu’il ne sou­haite pas l’évoquer car cela irait à l’encontre de l’idéologie mon­dia­liste et, de la sorte, confu­sion­nelle dont témoignent ses récits. Par sa blan­cheur, le lys fait réfé­rence à ce qui est ori­gi­nel. En effet, le blanc est la cou­leur dont dérivent toutes les autres (17). C’est éga­le­ment la cou­leur de l’extrême nord du monde, le Pôle recou­vert de glace. À par­tir de ce constat et puisque le lys inter­vient dans l’emblématique de notre nation, il est néces­saire de faire appel à une tech­nique de codage per­met­tant de dis­si­mu­ler un concept en se ser­vant d’un mot char­gé d’une signi­fi­ca­tion sym­bo­lique. Cette tech­nique, appe­lée « gué­ma­trie », consiste tout sim­ple­ment à attri­buer un nombre à une lettre. Nombre qui sera déter­mi­né en fonc­tion de la place de la lettre dans un alpha­bet. Ce fut le cas pour l’écriture grecque et la ger­ma­nique ancienne (les runes), et c’est tou­jours le cas pour l’hébraïque. Dans un cour­rier adres­sé à l’un de ses amis, l’auteur de La Divina Comedia, Dante Alighieri, révèle l’existence de ce sys­tème de cryp­tage (18). En consé­quence, nous aurons A = 1, B = 2, C = 3, D = 4, etc. jusqu’à Y = 25 et Z = 26.

Dans la langue fran­çaise, il existe deux façons d’écrire le nom de la fleur syno­nyme de blan­cheur : lis ou lys. La valeur de lis (L = 12 + I = 9 + S = 19) sera de 40 et ce nombre est celui d’une attente puri­fi­ca­trice pré­pa­rant un retour à un prin­cipe méri­tant le qua­li­fi­ca­tif de « pri­mor­dial » (au double sens du terme : « com­men­ce­ment » et « essen­tiel »). On a vu dans un autre article (19) com­ment le 40 se retrou­vait dans le sym­bo­lisme de l’Ancien et du Nouveau Testament, mais aus­si dans une for­mule cou­ram­ment uti­li­sée (la mise en « qua­ran­taine »). Le lis (avec un i, donc) se fait alors évo­ca­teur d’un laps de temps pré­pa­ra­toire aux retrou­vailles avec quelque chose de « prin­ci­piel ». Un quel­que­chose qui pour­rait fort bien être occul­té – tout en étant expri­mé sous cette occul­ta­tion – par l’orthographe du second terme, lys (avec un y). Sa valeur est de 56 (L = 12 + Y = 25 + S = 19) et ce nombre qui, sans doute, n’évoquera rien aux per­sonnes non fami­lia­ri­sées avec l’ésotérisme numé­ro­lo­gique se révèle d’une extrême impor­tance ain­si qu’on va le décou­vrir maintenant.

Un pré­cé­dent article, consa­cré à l’œuvre de J. R. R. Tolkien, men­tion­nait un nombre éton­nant car expri­mant la tri-uni­té, le 111. Il faut savoir qu’on le consi­dère comme emblé­ma­tique du Pôle (nord, bien enten­du). Cette extré­mi­té du monde était pour les anciens peuples, prin­ci­pa­le­ment indo-euro­péens — mais pas seule­ment (20) —, le lieu du com­men­ce­ment, le « Centre suprême » d’où seraient appa­rus les fon­de­ments arché­ty­paux de toute civi­li­sa­tion digne de ce nom. Dans les mythes grecs, il s’agissait de l’Hyperborée. Mais alors, quel rap­port entre le 111 et le 56 ? Tout sim­ple­ment que 111 étant impair, on trou­ve­ra un nombre entre le 1 et ce triple 1. Le milieu du 111 est donc 56. En fait – et nous aurons l’occasion d’y reve­nir – le 56 est sou­vent mis à la place du 111. Et le lys recouvre « can­di­de­ment » ce concept expri­mant l’une des don­nées fon­da­trices de notre appar­te­nance européenne.

P.G.S.

(1) Dérivant du mot « sabe­lin » qui, au Moyen Âge, dési­gnait la zibe­line, ani­mal dont la four­rure est noire.
(2) Terme consi­dé­ré comme déri­vé du per­san.
(3) Matthieu, 17, 1–2.
(4) Bible du cha­noine Crampon, Évangile de Jean, 1, 29.
(5) Ibid., 19, 12–15.
(6) Ibid., 1, 14.
(7) Ibid., 1, 16.
(8) Ibid., 1, 16.
(9) Dans sa Géographie sacrée du Monde grec, Éditions Hachette, Paris, 1966, p. 57.
(10) Ibid., 4, 6.
(11) Ibid., Ibid., 5, 6.
(12) Dans le pre­mier texte, signé de Chrétien de Troyes, qui met en scène ce sur­na­tu­rel objet mais aus­si dans
les écrits des conti­nua­teurs.
(13) Vers 1189 ou 1190, dans son récit en vers Perceval ou Le Conte du Graal.
(14) Il s’agit de La Quête du Graal, texte par lequel s’achèvent les aven­tures des preux par­tis à la recherche de
la pré­cieuse coupe.
(15) La Quête du Graal, pré­sen­tée et éta­blie par Albert Béguin et Yves Bonnefoy, Éditions du Seuil, Paris,
1965, p. 307.
(16) Dans son Handbuch der Runenkunde, Éditions Max Niemeyer, Halle-Saale, 1944, p. 139.
(17) Voir ce que Paul Catsaras en dit dans son article sur Janus (rubrique Perspectives).
(18) Il est ques­tion de la lettre I (i) à laquelle on attri­bue la valeur 9. Étant la neu­vième de notre alpha­bet, ce nombre est ain­si jus­ti­fié. Ce qui signi­fie conjoin­te­ment que H vaut 8 et J, 10. Dans les sys­tèmes grec et hébraïque, à par­tir de la dixième lettre on fait inter­ve­nir les dizaines (20, 30, 40 etc…) puis les cen­taines (100, 200, 300, etc…).
(19) Article inti­tu­lé L’appartenance, la forme et le centre (rubrique Perspectives).
(20) En effet, Jacquette Luquet-Juillet le rap­pelle avec per­ti­nence dans son étude inti­tu­lée Le Graal et le Temple, (Éditions Le Mercure Dauphinois, Grenoble, 2000, p. 23), la véri­table mon­tagne de Sion est en extrême Nord et la col­line de Jérusalem por­tant ce nom doit être per­çue comme consti­tuant une pro­jec­tion et une mise en mémoire d’un lieu « pri­mor­dial ». De même, pour le Soufisme, la Ka’ba est sous l’étoile polaire et le Shî’is.